Retour à Reims [fragments]

Vous aimez ce film, notez le !
La note moyenne actuelle est de 16,00 pour 1 vote(s)
À travers le texte de Didier Eribon interprété par Adèle Haenel, Retour à Reims [Fragments] raconte en archives une histoire intime et politique du monde ouvrier français du début des années 50 à aujourd’hui.
  • Titre original : Retour à Reims [fragments]
  • Fiche mise à jour le 06/04/2022
  • Année de production : 2021
  • Réalisé par : Jean-Gabriel Périot
  • Acteurs principaux : Adèle Haenel
  • Date de sortie : 30 mars 2022
  • Date de reprise : non renseignée
  • Distributeur France : Jour2Fête
  • Distributeur international : The Party Film Sales
  • Durée : 83 minutes
  • Origine(s) : France
  • Genre(s) : Documentaire
  • Pellicule : noir et blanc & couleur
  • Format de projection : 2K, 1.78, 4/3
  • Format son : 5.1
  • Visa d'exploitation : non renseigné
  • Indice Bdfci :
    66%

Vos commentaires et critiques :

Quinzaine des Réalisateurs – Cannes 2022

L’histoire d’un certain monde ouvrier

L’idée d’adapter le texte de Didier Éribon a été proposée à Jean-Gabriel Périot par Marie-Ange Luciani, productrice aux Films de Pierre. “Ce qui m’a frappé en relisant Retour à Reims (éd. Fayard, 2009, Ndlr), avec cette idée d’en faire peut-être une adaptation, c’est la jonction entre une histoire personnelle, celle des parents d’Éribon et de ses grands-parents et une histoire politique, celle de la deuxième partie du XXe siècle, dont nous vivons encore les contrecoups. Il y a dans les pliures, les croisements qu’Éribon a opérés entre ces deux mouvements historiques, quelque chose qui se joue, que je pouvais interroger et partager grâce à un film. Je pouvais, grâce à ce texte, ramener dans notre présent les corps de cette classe ouvrière à laquelle lui et moi avons appartenu, des corps encore et toujours trop absents de la représentation et de l’Histoire.” Jean-Gabriel Périot a travaillé à nouveau à partir d’archives pour construire son film. “Nous avions besoin d’archives françaises, donc plus ou moins facilement identifiables, car les productions cinématographiques ou télévisuelles françaises sont à peu près correctement conservées. La difficulté de ce projet était la grande multiplicité des thèmes abordés et des époques couvertes, ainsi que la sous-représentation de certains aspects de cette histoire (comme la violence faite aux femmes, les femmes de ménage, le racisme, etc.).” La voix off du film a été confiée à Adèle Haenel. “Que le texte lui-même soit interprété par une voix différente de celle de l’auteur permettait là encore d’élargir le ‘je’ du texte. Qu’une jeune femme s’en empare nous est apparu être une évidence. J’aime de plus beaucoup la voix d’Adèle. Elle possède cette tessiture rocailleuse qui trahit une appartenance populaire, ou qui, du moins, est très éloignée de ces voix claires qu’ont les gens des milieux privilégiés.”

 

 

« J’avais fui ma famille et n’éprouvais aucune envie de la retrouver » écrit Didier Eribon. Pourtant ce passionnant documentaire sonne le temps des retrouvailles, celui de la réconciliation autant avec sa propre histoire familiale qu’avec l’histoire collective, les deux intimement imbriquées. Et l’on verra vite avec quelle force les deux riment avec la grande oubliée de ce siècle, l’histoire de la classe et de la pensée ouvrières.
« Tant que les lapins n’auront pas d’historiens, l’histoire sera racontée par les chasseurs » constatait Howard Zinn…
Grâce à un montage et une mise en scène impeccables – à ce stade de maîtrise de l’agencement des images d’archives, on peut même parler de haute virtuosité – qui font la part belle aux images et rendent très présent le passé, Jean-Gabriel Périot raconte l’histoire du xxe siècle depuis le point de vue des dominés et cela éclaire toute notre époque, ses dérives extrémistes. Il montre ces corps invisibilisés par les médias, ces corps abîmés par la chaîne, les rudes conditions de travail.
Le réalisateur, en faisant le choix de ne pas rependre l’intégralité du texte originel mais en concentrant le récit sur sa partie plus féminine, rend un bel hommage à toutes celles qui n’avaient d’autre choix que de se taire ou perdre leur emploi, les exploitées, les tondues d’un système de domination patriarcal jadis incontournable et incontesté. Le choix de confier la narration (des extraits donc du texte d’Eribon) par une femme, Adèle Haenel, dont la voix vibre d’une calme révolte, donne au récit une ampleur d’autant plus universelle.
Pourquoi avoir fui sa famille, qui fut sans doute aimante, à sa manière ? Sans doute pour s’en émanciper comme beaucoup. Sans doute parce qu’elle semblait représenter tout ce que le sociologue et philosophe Didier Eribon combattait : le rétrécissement de la pensée, la xénophobie, l’homophobie… Pourquoi alors cette tentation d’y revenir ? Ce retour vers son lieu et milieu d’origine, ses racines, le transfuge qu’il est devenu l’entreprend une fois son père parti, comme si la parole pouvait enfin se libérer, comme s’il lui devenait possible de creuser le passé pour tenter de comprendre pourquoi et comment le vote ouvrier a fini par sanctionner la gauche au profit de l’extrême droite.
En démarrant l’aventure par celle de la grand-mère de Didier Eribon, le film tord le cou aux idées reçues qui voudraient que toutes les femmes des années 30 aient été naturellement dociles et serviles. Il nous raconte la force de volonté de celles qui, humiliées par le système, ont voulu et ont su s’en émanciper. Ce dont rêvaient ces femmes, ce n’est pas tant de richesses, mais d’une liberté qui ne leur était pas accessible faute de moyens, fautes d’études, à une époque où même les ambitions d’ascension les plus modestes restaient hors de portée. Leurs parcours sont représentatifs d’une reproduction sociale implacable à laquelle il est quasiment impossible d’échapper. Critique sans concession d’un système éducatif faisant tout pour que la classe ouvrière reste à sa place, pour qu’elle n’aie pas accès à une culture qui aurait pu lui permettre de s’émanciper. Et puis ce sentiment prédominant de la honte, celui de ne pas être reconnu, de ne pas avoir réussi, celui qui perdure avec le temps, sur les ronds-points des Gilets jaunes.
Celui aussi de ne plus savoir à quel saint, à quel parti se vouer, celui qui fait dire que voter à droite ou à gauche, c’est du pareil au même, tant cette dernière a trahi… Non seulement passionnant, mais essentiel !