Michael Cimino un mirage américain

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"Faire du cinéma, c’est inventer une nostalgie pour un passé qui n’a jamais existé » a écrit un jour Michael Cimino. Il s’est éteint le 2 juillet 2016, à l’âge de 77 ans après avoir passé 20 ans à rêver des films qui n’ont jamais vu le jour.

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« Faire du cinéma, c’est inventer une nostalgie pour un passé qui n’a jamais existé » a écrit un jour Michael Cimino. Il s’est éteint le 2 juillet 2016, à l’âge de 77 ans après avoir passé 20 ans à rêver des films qui n’ont jamais vu le jour.
Mingo Junction, Ohio, 1977. Dans cette bourgade sidérurgique, Michael Cimino tourne Voyage au bout de l’enfer, film au succès critique et public qui le consacre. Quarante-trois ans plus tard, Jean-Baptiste Thoret y pose sa caméra à la rencontre de ses habitants qui ont participé à l’authenticité d’un film pensé en partie comme un home movie. Nous les retrouvons, non sans émotion, comme si une suite nous racontait l’évolution des personnages des décennies après.
Prenant ensuite la route de l’Ouest, le documentaire invoque l’esprit du cinéaste – le spectre de l’œuvre de John Ford est aussi présent, forcément – par les trajets en voiture ainsi que les paysages naturels symboliques et fondateurs de sa filmographie. À l’instar de We blew it, une des précédentes réalisations de Jean-Baptiste Thoret, nous partons à la redécouverte d’une certaine idée de l’Amérique et de ce qu’il en reste aujourd’hui. À partir de conversations datant de 2010, on écoute un Michael Cimino vieillissant, qu’on imagine encore hanté par l’échec de La Porte du Paradis. Il nous guide le long de ce voyage, revenant sur ses intentions, son parcours, ses projets inachevés et ses doutes. Sa voix rauque traverse ces espaces, comme un fantôme n’ayant pas quitté son territoire.
Divers collaborateurs sont interviewés et complètent le portrait complexe d’un cinéaste à part dont la liberté faisait sa force artistique mais peut-être aussi sa faiblesse au sein des studios. Les témoignages sont sans complaisance mais toujours avec une fascination infaillible : le mirage Michael Cimino durera toujours.

La première séquence, sur fond sonore de chants russes, nous plonge dans une vallée industrielle enneigée du centre des États Unis, précisément à Mingo Junction, dans l’Ohio. Les cinéphiles auront sans doute une impression de « déjà vu ». Ce tunnel, ces cheminées d’usine, on les reconnaît pour les avoir vus sur un écran, filmés en scope, c’est sûr. Pourtant, pendant 30 bonnes minutes, il ne sera pas question de cinéma, mais du déclin inexorable de cette petite ville sidérurgique, agonisant gentiment dans la nostalgie d’une ère révolue. Au détour de ces quelques rues désertes, dans un des rares bars ou supérettes encore ouverts, on rencontre des septuagénaires qui racontent une gloire passée, celle des usines tournant à plein régime, des jeunes ouvriers qui, dans les années 60/70, ont travaillé, ddans des conditions difficiles voire dangereuses, pour accéder au confort, au rêve américain. Ces hommes parlent de la communauté, ce concept très anglo saxon, à l’époque soudée et pleine d’espoir dans un avenir meilleur.
Puis on retrouve enfin d’où vient cette sensation de familiarité : c’est à Mingo Junction que fut tourné en 1978 The Deer hunter (le chasseur de cerf) devenu en français Voyage au bout de l’enfer, film inoubliable d’un certain Michael Cimino. On y découvrait une communauté d’ouvriers pour beaucoup d’origine slave, longuement décrits dans leurs habitudes de travail, de vie familiale et sociale (la superbe scène de mariage) avant qu’ils ne soient projetés dans l’enfer vert de la guerre absurde et cruelle menée au Vietnam par leurs gouvernants.
Jean-Baptiste Thoret, grand critique et historien du cinéma, avait déjà mêlé road-movie quasi sociologique et cinéma avec l’excellent We blew it, balade dans le sud trumpien de la Route 66, ponctuée de réflexions sur le cinéma du Nouvel Hollywood (entre autres Peckinpah, Dennis Hopper…) se demandant comment l’esprit de liberté des années 70 avait pu aboutir à cette faillite idéologique. En 2010, Thoret prit la route avec un Cimino vieillissant et oublié par Hollywood, pour voyager à travers « son » Ouest, de Los Angeles au Colorado. De cet entretien au long cours est né le livre Michael Cimino, les voix perdues de l’Amérique, publié en 2013. Le film repart sur les traces de Cimino (décédé en 2016), de son Amérique, de son cinéma, et on réalise que le cinéaste a cherché dans ses films à décrire au plus juste l’âme d’un pays. Le film ira donc de l’Ohio au Montana, où fut tourné le magnifique La Porte du paradis (1980), le deuxième chef d’œuvre de Cimino, film incompris et gouffre financier qui compromit sa carrière. Puis à New York, ville-monde qui servit de cadre à l’halluciné L’Année du Dragon (1985).
Le film de Jean-Baptiste Thoret montre bien comment Cimino a su, en quelques films à la dimension fordienne, raconter l’Amérique, avec une authenticité et une puissance de mise en scène inégalées, comme en témoignent quelques pointures interwievées pour l’occasion, tel Quentin Tarantino, grand admirateur du cinéma des années 70. Mais, dans la droite ligne de We blew it, Thoret montre aussi l’Amérique des sans grades, avec une justesse et une empathie remarquables, loin des clichés et des jugements hâtifs.