Rien à foutre

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Cassandre, 26 ans, est hôtesse de l’air dans une compagnie low-cost. Vivant au jour le jour, elle enchaîne les vols et les fêtes sans lendemain, fidèle à son pseudo Tinder « Carpe Diem ». Une existence sans attaches, en forme de fuite en avant, qui la comble en apparence. Jusqu'à ce qu'un incident de parcours ne l'oblige à se reconnecter au monde. Cassandre saura-t-elle affronter les douleurs enfouies et revenir vers ceux qu'elle a laissés au sol ?

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Semaine de la Critique 2021

Le cri du cœur

“Nous partons toujours d’une image, d’un moment, même fugace, que l’on a croisé dans la vie, qui trotte en tête et dont on essaie de comprendre pourquoi il nous manque”, racontent les deux cinéastes Julie Lecoustre et Emmanuel Marre. “Sur Rien à foutre, c’était une hôtesse d’une compagnie low cost assise sur son siège, au décollage d’un avion Charleroi-Majorque qu’avait pris Emmanuel. Elle paraissait avoir vécu quelque chose de très fort ce jour-là, qui la plongeait dans ses pensées. Lorsqu’a retenti le ‘ding’ du début de service, elle a arboré une sorte de masque de sourire. Et puis elle s’est plongée dans son travail d’hôtesse qui semblait lui permettre de s’oublier. En y repensant, la scène rappelait L’ouvreuse, le tableau d’Edward Hopper. Cette image parlait de nos solitudes contemporaines, mais aussi du rapport entre l’intime et la pensée du travail actuel (ubérisation, flexibilité…) incarnée par les compagnies low cost. En la déployant dans un film, on pouvait poser la question de ce qu’on laisse au sol quand on part.” Emmanuel Marre commence à écrire seul le scénario, puis est rejoint en novembre 2018 par Julie Lecoustre. “Au départ, Emmanuel devait réaliser le film en solo. Mais il y avait un travail à quatre mains permanent, où le scénario se mêlait à la préparation, l’écriture à une réflexion sur la méthode de travail, et puisque tout était mené de front, signer ce film à deux est devenu une continuité.”  Pour incarner Cassandre, leur héroïne, les deux cinéastes vont commencer par chercher “une vraie hôtesse de l’air, ou bien une comédienne pas forcément connue. Et puis nous avons rencontré Adèle Exarchopoulos et il y a eu un déclic. Elle seule savait incarner la solitude enfouie sous le “Rien à foutre” du personnage. Elle s’est immédiatement adaptée à notre façon de faire, à l’arrache. On a tout de suite vu qu’elle n’avait pas peur de ça.” Le tournage a eu lieu à Lanzarote, en Belgique, en France et à Dubaï.

 

 

Rien à foutre. Le titre est cinglant et ne nous l’envoie pas dire. Mais il ne faut surtout pas le prendre au mot et il est au contraire impératif de ne pas laisser passer ce premier film étonnant et finalement très touchant, qui capture avec beaucoup de perspicacité et de justesse l’état du monde. Lequel n’est pas franchement réjouissant – et le cinéma ne peut faire autrement que de nous tendre un miroir lucide de l’évolution préoccupante (doux euphémisme) de nos sociétés –, mais tout n’est pas encore foutu (décidément !), tout n’est pas encore pourri ici bas… Comme dirait très justement l’autre : tant qu’il y a de la vie…
Cassandre est une bosseuse. Fidèle au poste, prête à enchaîner les vols, à se plier aux quatre volontés du manager, à sourire même quand elle a envie de pleurer et à dire toujours « oui bien sûr », aux passagers pénibles comme aux exigences du planning. Cassandre a 26 ans et fait un métier supposé de rêve, un de ceux qui mettent des étoiles dans les yeux des petites filles : hôtesse de l’air. Parcourir le monde, découvrir des destinations paradisiaques, dormir dans des hôtels de haut standing et faire mille et une rencontres… Sauf que non, pas du tout, parce que Cassandre travaille pour une compagnie low cost, et son quotidien, s’il est sans doute plus enviable que celui des travailleuses de l’ombre qu’on voit dans Ouistreham, n’a rien de formidable. La politique commerciale de la maison est féroce et la mission des hôtesses est surtout de faire acheter aux passager un maximum de services en extra. C’est cette stratégie qui permet EasyJet, Ryanair et consorts de maintenir des tarifs de billets très bas : presser les employés, en grande majorité des femmes, comme des citrons et vendre au prix fort parfums, cappucinos et sandwichs sous cellophane…
Docile, Cassandre se plie comme toutes ses collègues au management hargneux de son entreprise : un bourrage de crâne en bonne et due forme qui se drape dans un discours bien rodé de démocratisation du voyage au long cours, du farniente sous les cocotiers à portée de toutes les bourses. Sans être dupe du cynisme de la main qui la nourrit, elle encaisse, puis décompresse entre deux vols en buvant et en dansant beaucoup. Sur les réseaux sociaux, et sous son jour le plus sexy, elle fait des rencontres sans lendemain et remplit le vide à grandes doses de lumière bleue, comme une fuite en avant en perpétuel jetlag. Cassandre a-t-elle d’autres désirs que celui de partir vivre à Dubaï et se faire embaucher dans une compagnie plus prestigieuse ? Peut-être, ou pas… Cette vie-là fait rêver ses copines d’enfance à qui elle ramène quelques échantillons quand elle rentre dans sa ville natale, alors finalement, c’est déjà pas si mal…
Portrait d’une jeune femme qui choisit la carte de l’apparence pour tirer son épingle du jeu de dupes dans lequel ce monde, qui est celui de son époque, l’a parachutée, Rien à foutre raconte l’utra moderne solitude d’une jeunesse flottante qui semble ne plus parvenir à rêver. Pourtant, l’éphémère vernis des avatars (« Carpe diem » pour Cassandre) cache à peine un appel criant au lien véritable.
D’un naturel époustouflant, avec ou sans maquillage, avec ou sans texte (beaucoup d’improvisation), Adèle Exarchopoulos est de tous les plans et elle est formidable. Portant l’air de rien le film sur ses épaules, elle montre ici l’étendue de son talent.