Le Jeune Ahmed

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En Belgique, aujourd'hui, le destin du jeune Ahmed, 13 ans, pris entre les idéaux de pureté de son imam et les appels de la vie.

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CANNES 2019: SÉLECTION OFFICIELLE COMPÉTITION

Fou de Dieu

Huitième  film  des  frères  Dardenne  en compétition à Cannes, où ils ont été palmés pour Rosetta en 1999 et L’enfant en 2005, Le jeune Ahmed “est une  coproduction belgo-française entre notre maison de  production, Les Films du Fleuve, et  Archipel 35, la société de Denis Freyd, avec lequel nous avons coproduit tous nos longs depuis Le fils, expliquent les réalisateurs. En  Belgique, Le jeune Ahmed a  pour  partenaires  Proximus,  la  RTBF, Wallimage, la région Bruxelles- Capitale, le Centre du cinéma et de l’audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le Tax  shelter du gouvernement fédéral belge, CasaKafka Pictures-Belfius. En France, France 2 Cinéma, Canal+, Ciné+, France  Télévisions. Le film est distribué en  Belgique par Cinéart, dans l’Hexagone par  Diaphana, et vendu à l’international par Wild Bunch. Bim  Distribuzione l’a préacheté pour l’Italie et il a bénéficié du soutien d’Eurimages. Le jeune Ahmed a été tourné  pendant  neuf  semaines  en  décors naturels en Belgique et en numérique avec la caméra Arri Alexa mini”. Au sein d’un dispositif  soigneusement étudié, précisent les frères, “les répétitions que nous faisons, uniquement  avec  les  comédiens  dans  les décors  pendant  trois  à  quatre  semaines avant le début du tournage, sont peut-être finalement le moment le plus important pour nous. Nous les filmons avec notre caméra vidéo. Elles sont notre carnet de croquis, d’esquisses. Même si nous ne figeons rien, pour que le tournage ne soit pas une application de ces répétitions, il nous semble que c’est dans ces moments que naît le rythme du film à venir”. C’est en tout cas avec Le jeune Ahmed qu’ils se sont rapprochés au plus près des deux œuvres dont ils disent qu’elles ont sans doute décidé de leur vocation, “Mouchette et Au hasard Balthazar de Robert Bresson, vus au ciné-club de notre lycée”

Le jeune Ahmed, 13 ans, la caméra puissante et discrète ne le lâche pas un instant. Désarmée par les choix de son petit protagoniste, elle se fait même insistante, prête à l’épauler s’il chute. Elle se tient à l’affut de ses moindres soupirs, plus criants que des mots. Elle ne loupe aucun souffle des personnages, nous laisse à peine le temps de reprendre le nôtre. Ce n’est pas tant l’action qui est mise en scène ici, mais bel et bien l’impuissance des adultes qui gravitent autour de ce jeune Ahmed à l’âme impénétrable. C'est pourtant un gentil garçon qui évolue sous nos yeux. Il transpire la bonne volonté. Poli, il s’applique à être celui qu’on lui demande d’être, même trop. Car la voix prépondérante dans sa tête n’est plus celle de cette enseignante remarquable qui ne s’économise pas pour élever les mômes du quartier au dessus de leur condition sociale. Ni celle de cette mère imparfaite comme toutes mais prête à tout pour ses enfants. Ni celle des copains, jugés insuffisamment pieux. La voix prépondérante ne sera même plus celle de l’imam intégriste qu'Ahmed s'était mis à suivre aveuglément. Tous seront dépassés par cet élève, ce fils, ce disciple. La voix prépondérante ne sera bientôt plus que celle de Dieu lui-même, ou plutôt celle d’un Coran revisité pour pousser à la haine plutôt qu’à l’amour.
C’est simple de détourner un adolescent qui se cherche et redoute les changements de son corps, c'est presque trop facile d’utiliser sa peur de ne pas être à la hauteur. Quand on a treize ans, on a soif d’absolu. Quand on a treize ans, on a des certitudes, refuges illusoires. Quand on a treize ans, on ne mesure pas toutes les conséquences de ses mots et de ses actes. On connait peu la fragilité de l’existence ou on ne veut pas la voir, car elle aussi fait peur.
C’est ainsi qu’entre deux révisions, deux prières, Ahmed va avoir la volonté d’un geste brave, pour purifier son monde et se faire une place dans l’autre, auprès de son cousin mort au jihad et glorifié comme martyr. L’imam au verbe haut lui semble soudain bien pleutre, l’heure venue de passer à l’action. Ahmed s’apprête donc à le faire avec ses maigres moyens, mais une détermination farouche. Quelques connexions internet plus tard, le voilà prêt à commettre un acte aussi irréparable que stupide. Tout autour, sans imaginer l’impensable, les adultes s’inquiètent, désemparés de voir leurs bonnes vieilles recettes inopérantes face à l’adolescent en pleine ébullition intérieure, devenu indocile et qui se pense en droit de leur donner des leçons. Placé en centre fermé, entouré d’éducateurs redoutablement patients, respectueux et aguerris, Ahmed refusera d'abord toutes les mains tendues, s’enfermant dans son mutisme, refusant jeux, travaux à la ferme et tout contact avec cette vie organique où pourtant une jeune adolescente drôle et sensuelle le dévore des yeux… La suite ? On l’espère, tout autant qu’on la redoute.
S’il nous exaspère, s'il nous effraie, jamais on ne parviendra à détester Ahmed. C’est toute la force du cinéma des Dardenne, toute la force de ce film qui nous laisse avec la vision indélébile d’un gosse mal dégauchi qui fait ses ablutions, de ses gestes répétitifs, presque des tocs, de sa fragilité adolescente, de sa démarche mal assurée, de ses pieds introvertis, rentrés en dedans comme s'ils ne pouvaient aller vers le monde, s'ouvrir à lui. Avec son popotin un peu trop présent qui lui donne de dos des courbes androgynes, Ahmed n’a pas fini de nous déconcerter. Pas si loin de ce qu’on était à cet âge-là, pas si loin de tous les ados que l’on croise dans la rue, dans nos vies.