Petite nature

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Johnny a dix ans. Mais à son âge, il ne s’intéresse qu’aux histoires des adultes. Dans sa cité HLM en Lorraine, il observe avec curiosité la vie sentimentale agitée de sa jeune mère. Cette année, il intègre la classe de Monsieur Adamski, un jeune titulaire qui croit en lui et avec lequel il pousse la porte d’un nouveau monde.

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Semaine de la Critique 2021 – Séance spéciale

Échapper à son destin

“Pour mon premier long, je suis allé filmer ma famille dans ma région d’enfance, en Lorraine. De retour à Forbach, j’essayais de me souvenir du moment où j’avais pris la décision de partir. Petite nature est né comme ça, avec cette question. Johnny est cet enfant qui va prendre conscience de son milieu et de son désir de s’en échapper”, raconte Samuel Theis. Celui-ci a mis du temps à écrire le scénario : “Il y a eu de multiples versions. Je partais d’éléments biographiques. Il a fallu déconstruire d’abord, pour comprendre ce que j’étais en train d’écrire, et savoir où je voulais emmener mon histoire. ”Hormis pour les rôles du jeune professeur et de sa compagne, joués par Antoine Reinartz et Izïa Higelin, le cinéaste a procédé à un long casting sauvage en Lorraine. “Pour les non professionnels, comme les enfants d’ailleurs, c’est toujours une première fois. Ils n’ont pas de trucs, ils ne cherchent pas à se placer avantageusement par rapport à la caméra, ils ne trichent jamais avec les sentiments. Je trouve ça très beau.” Le tournage a eu lieu entièrement à Forbach. “Pour le moment, j’aime bien l’idée que mes films aient à la fois une identité sociale et régionale. C’est un territoire complexe, que je trouve très cinématographique, d’abord parce que c’est une frontière. Qui porte la mémoire du charbon et de la sidérurgie, les stigmates de la désindustrialisation. Son histoire est aussi marquée par l’immigration“. Le film a été quasiment terminé au moment du premier confinement. “Il a fallu le ranger sur l’étagère et attendre, ce qui n’arrive jamais. C’était une attente étrange, parce qu’il n’y avait pas d’horizon, on ne savait pas pour combien de temps.”

  

 

Nos aïeux, ceux de 14/18, chantaient paraît-il : « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine… ». À la voir tomber en déliquescence, on imagine guère que la Lorraine du chant patriotique ait pu représenter un tel enjeu. Chose d’autant plus incongrue si l’on réalise combien son territoire était fort bien pourvu par la nature et cachait dans ses entrailles les trésors qui pouvaient permettre à toute une nation de prospérer : fer, charbon… Raison pour laquelle elle fut tiraillée entre la France et l’Allemagne. Ce qui fut une manne pour les travailleurs de jadis, venus de tous les horizons, ne l’est plus que pour quelques idéologies nauséabondes qui exploitent la misère et dressent pour se vendre les hommes contre leurs frères… C’est là, bien des années après la fin des vaches grasses, que le réalisateur de Petite nature est né. C’est là qu’il vient farfouiller une fois de plus dans les entrailles de cette terre aussi fascinante que malaisante, qu’il creuse le sillon d’une œuvre implacable, dans les vestiges de la classe ouvrière de l’ancien bassin houiller désormais à l’abandon et dans son propre passé avec lequel il tente sans doute de se réconcilier. Après nous avoir complètement bluffés avec Party girl, un presque portrait haut en couleur de sa mère (réalisé à trois avec Marie Amachoukeli et Claire Burger), Samuel Theis fictionnalise le fils qu’il fut à dix ans. Il nous transporte dans sa Forbach natale, au cœur d’une humanité tout aussi courageuse que paumée, tout aussi pétillante que désespérée, difficile à complètement aimer, difficile à complètement détester. Qui fait après tout ce qu’elle peut pour survivre avec ce qu’on lui a donné, ou plutôt ce qu’on ne lui a pas pris.
Tout commence par une scène déchirante. Une séparation assumée mais néanmoins douloureuse, colérique. Une mère qui quitte son compagnon et déménage, flanquée de ses trois enfants, l’un grand adolescent qui a l’air de s’en foutre, une petiote étonnée, et puis le troisième : Johnny, ému de perdre ce qui était une présence masculine régulière, bien qu’imparfaite. Johnny, l’alter-ego du réalisateur, qui, s’il n’est pas un ange, en a bien le joli minois avec son allure androgyne, ses longues boucles d’or. Aliocha Reinert, qui interprète bien sûr le tout premier rôle de sa vie, sera désormais de tous les plans, dégageant un charisme hypnotique, tout aussi atypique que la vie de son personnage. Johnny est à la fois l’un des petits de la famille, mais aussi le grand habitué à veiller sur sa petite sœur pour palier les défaillances du frère aîné, uniquement préoccupé par son nombril, et d’une mère bien incapable de l’être complètement malgré son grand cœur débordant. Une enfance aussi lumineuse qu’étouffée. Sous les traits fins de Johnny, son allure gracile, on perçoit immédiatement une détermination farouche qui se cherche, qui cherche la voie, l’échappatoire à laquelle se cramponner pour sortir de « là », de ce qu’il est encore trop jeune pour nommer, une forme de déterminisme social dont tous sont prisonniers.
Et c’est le nouvel instituteur, Jean Adamski (Antoine Reinartz), qui va ouvrir à Johnny une lucarne sur un autre monde… Répétez dit le maître : « Îles. Îles où l’on ne prendra jamais terre. Îles où l’on ne descendra jamais. Îles couvertes de végétations. Îles tapies comme des jaguars. Îles muettes. Îles immobiles. Îles inoubliables et sans nom. Je lance mes chaussures par dessus bord car je voudrais bien aller jusqu’à vous. »… Soudain c’est un poème (de Blaise Cendrars) qui illumine la classe, soudain un homme pose enfin un regard encourageant sur l’enfant et ne le considère pas comme une « petite nature »…