Le Grand mouvement

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Elder arrive à pied à La Paz après sept jours de marche pour protester avec ses amis mineurs contre leur renvoi des mines de Huanuni. Bientôt Elder tombe malade et la métropole l’asphyxie peu à peu. Max, sorcier des rues, sillonne, lui, sans relâche les confins de la ville qui semble ancrée au plus profond de son être. Des entrailles de la Terre aux 3600 mètres d’altitude de la capitale bolivienne, le chemin d’Elder, le damné, croisera celui de Max dans une symphonie urbaine rédemptrice.

Vos commentaires et critiques :

 

Le souffle d’une histoire est parfois l’histoire d’un souffle. Celui du jeune Elder est court, saccadé, il lui manque, lui coupe l’appétit, l’empêche de dormir, l’épuise jusqu’au délire. Ses poumons siliconés par des années de travail dans les mines Boliviennes ne supportent pas l’altitude de La Paz. Elder se traine dans la ville entre petits boulots sur le marché et visites chez le médecin ou auprès de Max le guérisseur. Il est arrivé à La Paz avec deux compañeros après une semaine de marche depuis sa province, pour protester contre leur licenciement des mines de Huanuni. Un effort de trop. Brisé, aux pieds de la cité, ses dernières forces vont l’amener à faire un voyage initiatique.
Le film s’ouvre magnifiquement sur la ville de La Paz, à distance, comme si les montagnes avaient des yeux. Nous regardons depuis un point de vue lointain un jeu de verticales et d’horizontales, de réseaux, de circulations, de taches de couleurs, une mosaïque de béton, de vitres et d’acier. Cette ville, comme une matrice, est la somme de toutes les vies qui la composent, de toutes les transformations qui la modèlent depuis les temps indigènes les plus anciens jusqu’à aujourd’hui.
La composition visuelle et sonore de cette symphonie urbaine s’apparente à une fièvre, un vertige.
Cette vision hallucinée, c’est celle du réalisateur Kiro Russo. Disciple de la théorie de l’œil caméra, il défend l’idée d’un cinéma formel, avec l’ambition d’inventer un langage à la manière de Tziga Vertov qui développa sa grammaire cinématographique en filmant la ville de Moscou. Natif de La Paz, Russo filme sa ville et les habitants avec une infinie tendresse. Les protagonistes sont ses amis et son regard fraternel et protecteur brosse un portrait touchant des petites gens, des sacrifiés du système.
Les mineurs épuisés et hagards s’invectivent comme des adolescents, les vendeuses du marché se moquent de Max, le guérisseur farfelu. Pas d’acteurs professionnels, ici, on joue sa vie au plus près de l’os. Le mineur est un mineur, la marchande est une marchande. Les joies et les difficultés de l’existence sont réelles. On tient sa place, pas d’usurpation bourgeoise, le petit peuple ne parade pas : il est. C’est sa noblesse.
Max, l’ermite en marge du monde des hommes, devait être le personnage central du film mais Max a refusé cette place : logique. Il est la mémoire de la ville dont il connaît tous les recoins, il est l’observateur alpha, il ne peut déléguer cette place à Russo. Et soyons sérieux, si ce marginal céleste acceptait l’invitation d’être au premier plan, qu’en serait-il de sa liberté si indéfectiblement sauvegardée ? Il est libre Max, et personne ne l’a vu voler sur le marché.
Le guérisseur n’étant pas disponible, Russo prendra Elder le malade comme clé de voute des existences périphériques. Impuissant, l’entourage d’Elder assiste à sa transformation avec inquiétude, car on ne peut rien pour celui qui ne veut plus suivre la règle du jeu et qui est à bout de souffle.
Russo filme en 16 mm et utilise le zoom pour se rapprocher de son sujet, ce qui donne une plasticité unique à son film. Des détails apparaissent, l’infiniment petit côtoie l’infiniment grand, le singulier s’associe à la multitude. Une vibration organique visuelle et sonore parcourt le film. Le support analogique de la pellicule se pique de scintillements et d’irisations qui donnent chair à l’image. Tout devient étrangement vivant et s’incarne.
Alors soyez les bienvenus, les portes de La Paix vous sont ouvertes !