Onoda, 10 000 nuits dans la jungle

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Fin 1944. Le Japon est en train de perdre la guerre. Sur ordre du mystérieux Major Taniguchi, le jeune Hiroo Onoda est envoyé sur une île des Philippines juste avant le débarquement américain. La poignée de soldats qu'il entraîne dans la jungle découvre bientôt la doctrine inconnue qui va les lier à cet homme : la Guerre Secrète. Pour l'Empire, la guerre est sur le point de finir. Pour Onoda, elle s'achèvera 10 000 nuits plus tard.

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 Arthur Harari s’est fait remarqué dès son premier long métrage, Diamant noir, un thriller d’atmosphère situé dans le milieu des diamantaires qui a été nommé au César du meilleur premier film en 2017 et a obtenu le prix du Syndicat français de la critique du cinéma (SFCC). Lui qui affirme que "le cinéma est une manière de vivre avec une réalité que je ne supporterais pas sans lui" a obtenu une mention spéciale du jury du Festival du court métrage de Clermont-Ferrand en 2008 pour La main sur la gueule, puis une mention spéciale du jury presse et le prix du jury jeune pour Peine perdue en 2014. Onoda est un projet atypique qui prend pour cadre une île des Philippines, où quelques soldats de l’armée japonaise oubliés par leur hiérarchie à la fin de la Seconde Guerre mondiale ont continué à combattre un ennemi invisible, jusqu’à ce que le dernier survivant soit évacué…en 1974. C’est en rencontrant au Japon Bernard Cendron, qui avait publié avec Gérard Chenu Onoda, seul en guerre dans la jungle (éd. Arthaud), qu’Arthur Harari a décidé de développer ce projet dans lequel il a mis toute sa passion pour les explorateurs et la littérature de Joseph Conrad et Robert Louis Stevenson. Au point de ne découvrir qu’à la veille du tournage l’existence des mémoires d’Hirō Onoda, en français Au nom du Japon (éd. Manufacture du livre, 2020). Il a engagé pour les rôles principaux deux des interprètes de Tokyo Sonata (2008) de Kiyoshi Kurosawa, Kanji Tsuda et Kai Inowaki. Onoda sort le 21 juillet sous l’égide du Pacte.

  

 

C’est un projet hors du commun que cet ambitieux film japonais (coproduction internationale avec la France) mené par le réalisateur français Arthur Harari, remarqué pour son premier long métrage (déjà très maîtrisé) Diamant noir. Pour son deuxième film, sur le papier déjà, quelque chose intrigue : une dimension homérique, une prise de risque délibérée, peu courante dans le cinéma français. Raconter l’incroyable histoire vraie d’Hiroo Onoda, soldat japonais resté en poste dans la jungle d’une île des Philippines trente ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, refusant de croire à la reddition de son pays. L’idée excite immédiatement nos imaginaires remplis de récits d’aventures, notre fascination pour les étrangetés de l’Histoire, pour les expériences extrêmes où l’humain fait preuve de ressources inimaginables pour se surpasser. 
Arthur Harari embrasse avidement tout ce que ce fait réel transporte de fictions pour réussir un film d’une grande richesse, fouillant les nombreuses facettes de cette histoire avec un vaste appétit cinématographique. D’abord placé sous le registre du film de guerre, le film s’étoffe progressivement, passant par le survival ou l’étude anthropologique, pour finalement se placer dans la lignée des œuvres illustres sur l’homme et la nature (on pense notamment à John Boorman), avec une passion assumée pour le cinéma japonais (Kurosawa en tête). En trente ans, les histoires d’Hiroo Onoda auront été multiples, mais toutes convergent vers le point de mire de son voyage intérieur : la recherche de l’intégrité absolue, fut-ce au service d’une mission complètement délirante.
Fin 1944, Hiroo Onoda est envoyé à Lubang, une petite île au nord des Philippines. Comme attendu, le débarquement des Américains est écrasant et force les troupes japonaises à s’éparpiller dans les montagnes au cœur de l’île pour survivre. Onoda choisit quelques hommes solides et part établir un campement au milieu de la jungle. Rapidement, ils ne seront plus que trois à l’accompagner : Kozuka, le plus dévoué, Shimada, le père de famille, et Akatsu, le plus jeune. Au bout de quelques temps, Onoda leur dévoile les véritables raisons de sa présence. Refusé comme pilote parce qu’il avait le vertige, Onoda n’a pas pu effectuer de mission-suicide contre l’ennemi. En échange, il a intégré une unité d’élite entraînée pour mener la « guerre secrète ». Dans un très beau chapitre, l’instruction d’Onoda par le major Tanaguchi nous est contée : figure paternelle fascinante, Tanaguchi leur a enseigné l’esprit de leur nouvelle mission. Si le Japon est battu, ces guérilleros agiront dans l’ombre pour freiner l’avancée de l’ennemi par tous les moyens et se renseigner autant que possible en vue d’informer stratégiquement les renforts lorsqu’ils arriveront. Pour cela, trois règles : ne jamais se rendre, ne jamais mourir et n’obéir qu’à eux-mêmes. Dès lors, coupés de tout en pleine jungle, Onoda et ses trois partenaires entrent dans une mission qui ne prendra fin que 30 ans plus tard.
Le film rend parfaitement compte de la manière dont la culture japonaise, son sens de l’honneur et du devoir, ont pu rendre possible une telle aventure. Mais plus encore, Arthur Harari filme le siège d’Onoda et ses camarades comme un parcours jonché d’épreuves (la faim, la solitude, l’hostilité du milieu, etc.), une véritable Odyssée qui dépasse le seul conditionnement culturel : la force d’une autodiscipline implacable, l’amitié réelle au sein d’un groupe à la cohésion mainte fois malmenée, et, plus que tout peut-être, la capacité humaine à s’inventer des histoires pour se donner un but. Les brefs contacts avec les habitants de l’île et les tentatives de récupération organisées par le Japon n’y feront rien. Arthur Harari fait le portrait saisissant d’un héros plongé dans une guerre sans combat, condamné à une grandeur sans gloire.