Varsovie 83, une affaire d'État

Vous aimez ce film, notez le !
La note moyenne actuelle est de 18,00 pour 1 vote(s)
Varsovie, 1983. Le fils d’une militante proche de Solidarnosc est battu à mort par la police. Mensonges, menaces : le régime totalitaire du Général Jaruzelski va tenter par tous les moyens d’empêcher la tenue d’un procès équitable.

Vos commentaires et critiques :

 

Pour bien comprendre les prémices du film, il faut se souvenir du contexte. Trois ans avant les faits relatés, en 1980, les 17 000 ouvriers du gigantesque chantier naval de Gdansk se mettent en grève, avec à leur tête un solide gaillard moustachu qui deviendra célèbre : un certain Lech Walesa. La grève victorieuse – et historique dans un pays satellite de l’URSS – aboutit aux accords de Gdansk (actant entre autres le gel du prix des denrées alimentaires) mais surtout à la création du syndicat libre Solidarnosc. Mais quand Solidarnosc réclame, avec le soutien de la très puissante Église catholique, des élections libres, la réaction est immédiate et se traduit par la prise de pouvoir du général Jaruzelski, qui déclare la loi martiale, avec son lot d’arrestations arbitraires.
En ce mois de mai 1983, quand le film commence, l’ambiance à Varsovie est paradoxalement plutôt à la dolce vita. La première séquence, caméra à l’épaule, nous fait découvrir l’appartement grouillant de monde de la poétesse Barbara Sadowska, figure de l’opposition proche de Solidarnosc, qui a été récemment blessée par la police lors d’une manifestation. Son fils Grzegorz vient d’avoir la première partie de son bac, il nage dans l’allégresse et essaie de convaincre son ami Jurek, un peu plus âgé et beaucoup plus réservé, de sortir avec lui pour festoyer. Après un petit verre ou deux, Jurek se laisse tenter et les jeunes gens se retrouvent donc dans la vieille ville, chahutant gaiement, jusqu’à ce qu’ils croisent une patrouille de police qui veut contrôler leur identité. Grzegorz se rebiffe, et les deux amis se retrouvent balancés brutalement dans le panier à salade, direction le commissariat. Là, Grzegorz va être violemment tabassé, à coups de pieds et de matraque, au point qu’un officier va intervenir, non pas pour arrêter le massacre mais pour crier de ne pas laisser de traces… Grzegorz est finalement ramené chez lui très mal en point. Sa mère décide rapidement de le conduire à l’hôpital, où il meurt quelques heures plus tard.
Le film palpitant de Jan P. Matuszynski (on ne voit pas les 2h40 passer) suit le parcours de Jurek, seul témoin du crime policier et bien décidé à ne pas le laisser impuni, qui doit se cacher dans un premier temps, puis subir la pression familiale. Il déroule surtout toutes les manipulations et manœuvres du pouvoir qui veut à tout prix faire innocenter les policiers assassins, tandis que la population et le clergé (notamment le mythique prêtre Popieluszko, qui sera assassiné un an plus tard) se mobilisent. Le récit détaille parfaitement l’arsenal déployé par la justice d’un état totalitaire pour protéger sa police : dénigrement moral de la victime et du témoin (on tente d’exploiter la liaison que Jurek a eue avec la mère de son ami), écoutes illégales, pressions sur les proches (la mère de Jurek se voit menacée de perdre sa licence de coiffeuse, tandis que son père, communiste sans état d’âme, est sommé de ramener son fils à la raison), utilisation de faux amis comme agents doubles, révocation de procureurs jugés trop impartiaux et, comble du cynisme, sacrifice de faux coupables utilisés comme lampistes…
Remarquablement conduit et mis en scène, Varsovie 83, une affaire d’État revêt une dimension particulière alors que la répression s’abat actuellement dans la Russie de Poutine sur les opposants à sa sale guerre, mais nous fait réfléchir aussi sur l’indépendance de notre justice française en matière de violences policières : rappelons qu’en 40 ans, 676 personnes sont mortes en France du fait d’une intervention des « forces de l’ordre ». En 2017, le magazine Street Press observait que, sur 47 dossiers de personnes désarmées décédées suite à une de ces interventions, trois seulement avaient abouti à une condamnation… avec sursis.