Hit the Road

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Iran, de nos jours. Une famille est en route vers une destination secrète. A l’arrière de la voiture, le père arbore un plâtre, mais s’est-il vraiment cassé la jambe ? La mère rit de tout mais ne se retient-elle pas de pleurer ? Leur petit garçon ne cesse de blaguer, de chanter et danser. Tous s’inquiètent du chien malade. Seul le grand frère reste silencieux.

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Régler son pas sur le pas de son père

Panah Panahi a assisté dès son enfance aux repérages et aux tournages des films de son père, Jafar Panahi, ou d’Abbas Kiarostami. Travaillant ensuite comme assistant réalisateur et opérateur, il a appris le métier sur le terrain, secondant Jafar Panahi sur ses derniers films, de l’écriture à la postproduction. Pour son premier long métrage en tant que réalisateur, “le road-movie d’une famille extravagante vers une destination secrète”, Panah Panahi a choisi de tourner en se rapprochant de la frontière turque, quittant ainsi peu à peu une zone désertique pour des paysages plus vallonnés et verdoyants. “Nous avons pu filmer sans entrave dans des décors situés dans des régions reculées. Nous avons eu un permis de tournage en vidéo, ce qui est plus simple. Nous n’avons jamais été inquiétés.” Quant à savoir s’il s’agit d’une vision fictive de la famille Panahi, le cinéaste précise: “Je ne souhaitais pas dépeindre un certain type de famille iranienne, et encore moins la mienne. Cependant, j’ai créé ces personnages et leurs relations en m’inspirant nécessairement, même si ce n’était pas conscient, de ma propre expérience des relations familiales, telles que je les ai observées.”

 

 

Une voiture, un genre de SUV rutilant emprunté pour l’occasion, file sur la route qui de Téhéran rejoint la frontière turque, traverse par à-coups les paysages désertiques, montagnards, aussi arides que sublimes du nord de l’Iran. Le gamin n’a pas 10 ans. Coincé à l’arrière à côté de son paternel à la jambe plâtrée (pratique, le plâtre, pour dessiner, jouer, pianoter), sa mère à l’avant et son grand taiseux de frère au volant, il est joli comme un cœur, bavard comme une pie, excité comme une puce, et ne tient donc pas en place. Ce serait donc une parfaite tête à claque s’il ne débordait de générosité et d’une énergie communicative : tour à tour charmeur, vindicatif, râleur, drôle, criard, il gigotte, s’allonge, joue, chante et danse. « Hyperactif », on dirait sans doute, par chez nous. Tellement qu’on se dit in petto que le voyage va paraître bien long… or, non. Mais au fait, quel voyage ? Il a beau flotter dans l’habitacle un parfum de vacances insouciantes, de joie de vivre et d’être ensemble, une multitude de petits indices révèlent son but et le drame qui est en train de se jouer. Alors même que tout le monde chante, danse, fait assaut de blagues plus ou moins plaisantes, plus ou moins légères, à l’unisson de l’enfant, il s’avère qu’on s’interdit sur cette route l’usage des téléphones portables, trop facilement traçables. Et qu’on s’inquiète, à tort ou à raison, d’être possiblement suivis par d’autres voitures. Les traits de la mère, dès lors qu’elle se sait hors du champ de vision de son petit dernier, se laissent gagner par la tristesse. Il se dit que, sur les quatre voyageurs, trois seulement prendront le chemin du retour.
Le cinéma iranien n’en finit décidément pas de surprendre et d’émerveiller. Le road-movie de Panah Panahi (oui, oui, le fils du cinéaste Jafar Panahi, auprès de qui il a fait ses « classes » en tant que consultant, monteur et assistant réalisateur) vous attrape fermement par la main et ne lâche plus pendant 90 minutes et les quelques centaines de kilomètres qui séparent la famille de sa destination. Voyage entrecoupé de multiples haltes dues au caractère imprévisible du gamin – à l’instar du P'tit Gibus de La guerre des boutons, on n’est pas près d’oublier le petit Rayan Sarlak, qui offre au film son concentré ravageur d’entropie joyeuse. D’une grande beauté formelle, inventif, attachant, incroyablement drôle (mais vraiment drôle !) et pourtant haletant, Hit the road suit avec beaucoup de finesse l’itinéraire d’une séparation, vers le chemin de l’exil que va prendre le grand frère. Ce n’est pas un bien grand mystère mais une réalité, dont chacun s’efforce de masquer la gravité au petit dernier. Avec de plus en plus de solennité au fur et à mesure que l’échéance se rapproche, mais aussi avec une belle et lumineuse tendresse qui se révèle et s’exprime entre les membre de la famille. Sujet dur, sujet fort, que celui du départ, qui dit en creux la situation sociale de l’Iran contemporain. Mais tempéré par le regard d’un enfant, comblé d’amour, qui insuffle au film une innocence euphorisante. Bourré d’humour malgré le sérieux de l’intrigue, porté par une irrépressible pulsion joyeuse, Hit the road est une comédie familiale et poétique comme on en fait peu, et une formidable invitation au voyage.