Djam TP

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Djam, une jeune femme grecque, est envoyée à Istanbul par son oncle Kakourgos, un ancien marin passionné de Rébétiko, pour trouver la pièce rare qui réparera leur bateau. Elle y rencontre Avril, une française de dix-neuf ans, seule et sans argent, venue en Turquie pour être bénévole auprès des réfugiés. Djam, généreuse, insolente, imprévisible et libre la prend alors sous son aile sur le chemin vers Mytilène. Un voyage fait de rencontres, de musique, de partage et d’espoir.

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CANNES 2017: ÉVÉNEMENT 70E CINÉMA DE LA PLAGE

Des fourmis dans les jambes

Tourné sous le titre de travail Avril et Djam, le 17e long métrage de Tony Gatlif fait l’objet d’une soirée spéciale au Cinéma de la plage, accompagné d’un concert, dans le cadre des célébrations du 70e Festival de Cannes, où le cinéaste est venu à plusieurs reprises et y a obtenu le prix Un certain regard pour Latcho drom en 1993, puis le prix de la mise en scène pour Exils en 2004. Coproduction franco-gréco-turque de 2,49€ entre Princes Films (la société de Gatlif), Pyramide Productions, Blonde Audiovisual Productions et Güverte Film, Djam a bénéficié du soutien de la région Auvergne-Rhône-Alpes, d’Eurimages, du CNC et de son équivalant grec. Passionné par la musique, qui lui a valu deux César en qualité de compositeur des bandes originales de Gadjo dilo en 1999, et de Vengo en 2001, Gatlif s’intéresse au rebétiko, un genre musical culte né en Asie mineure au XIX e siècle, qui donne lieu à une véritable résurrection. Djam a pour acteurs principaux Daphné Patakia, l’une des Shooting Stars du Festival de Berlin en 2016, Maryne Cayon, déjà à l’affiche de Geronimo de Gatlif en 2014, et Simon Abkarian, récompensé à plusieurs reprises pour sa composition dans Prendre femme (2004) de Ronit et Shlomi Elkabetz. L’image du film est signée Patrick Ghiringhelli, chef opérateur dont le travail sur le téléfilm Un autre monde de Gabriel Aghion a été récompensé au Festival de Luchon en 2012.

Tony Gatlif est un cinéaste qui, plus que tout autre probablement, a mis la musique au cœur de son cinéma. La musique et tout ce qu'elle apporte de récits, de mythes, d'élan, de liberté. Il part ici à la rencontre d'une culture qu'il n'avait pas encore explorée, à l’extrémité orientale de la Méditerranée, la « mare nostrum » de l'Antiquité, qui a vu au fil des millénaires naître et mourir les espoirs des hommes. Pas étonnant pour un homme qui, de père kabyle et de mère gitane, s'est toujours défini comme méditerranéen.
Bienvenue donc à Mytilène, sur l'ile de Lesbos, île emblématique puisque grecque mais située à quelques encablures des côtes turques. On y découvre Djam, jeune fille libre et fantasque, affolant les désirs des hommes. La première scène – très belle – nous la montre dansant le long d'un grillage évoquant d'emblée la frontière dérisoire que le monde occidental tente de dresser face à l'arrivée des migrants venus de l'Orient si loin si proche. Et dès cette première séquence, on comprend que la musique, en l'occurrence le rebetiko, sera le fil directeur du film. Le rebetiko, c'est cette étonnante musique triste et enivrante que les Grecs, chassés de Turquie par Atatürk au début du xxe siècle, chantaient dans les quartiers populaires d'Athènes ou de Thessalonique.
Djam vit sur l'île avec son oncle Kakourgos (magnifique Simon Abkarian), capitaine d'un bateau de croisière qui peine à trouver des clients en ces temps de crise. Pour l'heure le rafiot est en rade à cause d'une bielle défectueuse et Kakourgos envoie Djam à Istanbul pour chercher la pièce de rechange. Un voyage qui croise précisément celui des migrants qui tentent leur chance en traversant le fleuve frontalier à Edirne (ancienne Andrinople)… Le chemin aventureux de la jeune femme, avec la bielle dans son sac et son baglama (l'instrument incontournable du rebetiko) sur le dos, va croiser celui d'Avril, une toute jeune française venue en Turquie aider une ONG en soutien aux réfugiés syriens et abandonnée sans le sou à Istanbul par son copain…
Djam est d'abord un film plein de rebondissements, libre, pétillant, proposant nombre de rencontres et de situations pittoresques, avec sa galerie de personnages hauts en couleur. Et toujours des personnages féminins forts incarnés par des actrices singulières et remarquables : c'était Rona Hartner dans Gadjo Dilo, Lubna Azabal dans Exils, Asia Argento dans Transylvania, Céline Sallette dans Geronimo… Dans Djam c'est Daphné Patakia, comédienne grecque incroyable de sensualité et d'énergie.
Mais derrière le récit entraînant, souvent même euphorisant, il y a comme toujours chez Gatlif une belle évocation de ces peuples que l'on dit ennemis et qui pourtant ont tout à faire ensemble : on voit bien ici qu'entre les grecs de Lesbos et les habitants d'Istanbul il y a une histoire commune.
Gatlif introduit aussi une réflexion sur cette Europe ubuesque qui se ferme derrière ses frontières devant lesquelles se pressent les réfugiés venus de Syrie et d'ailleurs. Un plan splendide et impressionnant suffit à donner la dimension du drame : celui qui montre, sur une plage à l'écart des touristes, un amoncellement de plusieurs centaines de gilets de sauvetage abandonnés dont certains ont probablement été portés par des nageurs qui n'ont pas survécu à leur traversée. 
Entre rebetiko et regard douloureux sur sa chère Méditerranée devenue cercueil des migrants, Tony Gatlif renoue avec le meilleur de son inspiration et livre ainsi une belle œuvre à la fois musicale et politique.