Tranchées

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Sur la ligne de front du Donbas, les soldats du 30ème bataillon de l’armée ukrainienne affrontent des séparatistes soutenus par la Russie. Le réalisateur Loup Bureau nous plonge dans cette expérience de guerre, à hauteur d'hommes et au cœur des tranchées. Là où chacun doit à la fois se protéger de la mort, mais aussi tenter de recréer une normalité dans l’univers anormal du conflit.
  • Titre original : Tranchées
  • Fiche mise à jour le 22/05/2022
  • Année de production : 2022
  • Réalisé par : Loup Bureau
  • Date de sortie : 11 mai 2022
  • Date de reprise : non renseignée
  • Distributeur France : Les Alchimistes
  • Distributeur international : non renseigné
  • Durée : 85 minutes
  • Origine(s) : France
  • Genre(s) : Documentaire
  • Pellicule : noir et blanc
  • Format de projection : 1.33
  • Format son : 5.1, ukrainien ST français
  • Visa d'exploitation : 153205
  • Indice Bdfci :
    65%

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Loup Bureau s’immerge dans un avant-poste de l’armée ukrainienne dans le Donbass et prend le pouls d’une guerre en suspens, étrange mélange d’attente et d’éclats. "Que font nos amis ? – Les nouveaux sont plus calmes, ils font rarement feu, les autres avant eux étaient de vraies brutes". Dans cette casemate des avant-postes de l’armée ukrainienne dans le Donbass, sur la ligne de front où les positions ennemies des séparatistes pro-russes sont à portée de regard, l’électricité vacille et des chiens paressent aux pieds des soldats nettoyant leurs armes. Depuis le printemps 2014, les accords de cessez-le-feu se succèdent, mais "la guerre ne se termine pas pour autant". C’est là que le journaliste français Loup Bureau (bien connu pour avoir été détenu arbitrairement pendant près de deux mois en Turquie en 2017 pour "activités en lien avec le terrorisme" alors qu’il couvrait l’actualité conflictuelle de la région aux côtés des Kurdes, et qui ne fut libéré qu’au terme d’une intercession du président Macron) a décidé de réaliser son premier (et très réussi) documentaire, Tranchées [+], dévoilé hors compétition à la 78e Mostra de Venise.
Filmer en première ligne la guerre ou la suspension fragile des hostilités est loin d’être une nouveauté, mais le cinéaste français a choisi un angle singulier qui lui permet de capter parfaitement l’atmosphère des lieux et offre à son film un cachet artistique indiscutable (son passé de reporter-photo et le fait qu’il cadre lui-même jouant sans aucun doute un rôle majeur dans une mise en scène très organique), tout en laissant le ressenti humain des combattants affleurer à son rythme. Car c’est un tableau de la banalité qui s’esquisse, celle du vrai quotidien des soldats sillonnant interminablement les tranchées et leurs innombrables chicanes, en creusant sans répit de nouvelles à coups harassants de pelles et de pioches, et recommençant sans cesse au gré des éboulements. Un labeur de Sisyphe entrecoupé de violations ponctuelles du cessez-le-feu par l’ennemi, de déflagrations soudaines, de bombardements d’artilleries, de courses pour se terrer dans les bunkers, de ripostes, d’angoisses, de blessés ou pire parfois. Et dans la pénombre des abris à peine percée par la lumière diffuse traversant les meurtrières, on passe le temps, on cuisine, on fait la lessive, on livre quelques confidences au cinéaste, on parle parfois de Dieu, de ceux qui vivent et aiment au loin, des buts de cette drôle de guerre… Puis les radios crépitent à nouveau et la routine repart, monotone et toujours menaçante…
En choisissant le noir et blanc (hormis pour les rares séquences du retour vers ou à la vie civile en couleur), Loup Bureau renforce le caractère incroyablement intemporel de ce conflit dont le conditions rudimentaires font penser à la Première Guerre mondiale. Rondins, sacs de sable, boue, marches très prudentes dans le no man’s land, et surtout attentes et prières silencieuses pour que la mort ne tombe pas droit sur vous. Une guerre larvée aux antipodes des technologies de pointe faisant parfois l’actualité ailleurs et une ambiance à hauteur d’hommes (et de femme comme la soldate "Perséphone") que le cinéaste excelle à restituer par petites touches intimes et de fascinants plans-séquences déambulatoires. Une approche immersive qui ne privilégie pas vraiment de personnages particuliers et qui joue avec l’étirement du temps pour dévoiler les frémissements et les terreurs soudaines ancrés au cœur de la routine militaire d’une ligne de front et d’une épuisante vraie/fausse guerre dans le Donbass dont personne ne voit malheureusement l’issue.

Fabien Lemercier