La Dérive des continents (au sud)

Vous aimez ce film, notez le !
La note moyenne actuelle est de 10,00 pour 1 vote(s)
Nathalie Adler est en mission pour l’Union Européenne en Sicile. Elle est notamment chargée d’organiser la prochaine visite de Macron et Merkel dans un camp de migrants. Présence à haute valeur symbolique, afin de montrer que tout est sous contrôle. Mais qui a encore envie de croire en cette famille européenne au bord de la crise de nerfs ? Sans doute pas Albert, le fils de Nathalie, militant engagé auprès d’une ONG, qui débarque sans prévenir alors qu'il a coupé les ponts avec elle depuis des années. Leurs retrouvailles vont être plus détonantes que ce voyage diplomatique…

Vos commentaires et critiques :

Cannes 2022 – Quinzaine des réalisateurs

Une histoire de famille dysfonctionnelle

La dérive des continents (au Sud) est une comédie à l’italienne faite par un Suisse racontant le désordre du couple franco-allemand au milieu d’une famille européenne en pagaille à laquelle ses enfants demandent des comptes en pleine crise migratoire”, présente Lionel Baier. Ce film est le 3e volet d’une “tétralogie caustique et sentimentale” sur la construction européenne dont il ne manque plus que la dernière partie, Keek (au Nord), qui se déroulera en Écosse. “On y parlera dissociation.” La dérive des continents (au Sud) a été produit par la société du réalisateur, Bandita Films, créée en 2017 à l’initiative de plusieurs cinéastes. “Nous avons tourné en Sicile, à Catane et dans la région de Ragusa. À Gibellina et en studio en Suisse. Josée Deshaies, la cheffe opératrice et moi avons cherché des lieux qui proposaient des variations et des formes. Du dur qui s’oppose à du mou, de l’organisé face à du sauvage. Je me suis beaucoup inspiré du travail de Félix Valloton pour les couleurs. J’ai parfois décliné des tableaux en décors. En Sicile, il faut essayer de ne pas tomber dans l’exotisme facile. Tout y est tellement dramatiquement beau”. Le tournage a pris fin en juillet 2021. “Il faisait 45° sur le plateau, ce qui n’avait pas l’air de poser de problèmes aux Italiens. Pour les Québécois, les Français, les Allemands, les Suisses et les Polonais, un peu quand même… Mais on a fait venir un camion de glace à la pistache sur le plateau. C’est vrai ce qui est dit dans le film: ‘Les glaces italiennes viennent à bout de tous les déplaisirs’”

 

 

L’impromptu, ça se prépare. En marge d’un sommet européen, Angela Merkel et Emmanuel Macron ont convenu de visiter ensemble, « à l’improviste », un centre d’accueil pour réfugiés situé en Sicile, aux portes de l’Europe. Haute fonctionnaire mandatée par l’Union Européenne pour superviser la gestion des demandes d’asile, Nathalie Adler voit sa mission un brin contrariée par l’arrivée des représentants des deux chefs d’États, chargés chacun de mettre en scène cet événement « spontané » de manière à ce que « son » chef d’État puisse en tirer le minimum de gloriole pour contribuer à écrire sa petite légende politique personnelle. On se figure assez bien comment sont ces communicants : naviguant dans les hautes sphères du pouvoir, imbus du prestige que leur confère par ricochet celui de leur mentor, méprisants caméléonesques, et finalement moins malfaisants que ridicules. Ute, la belle Allemande, efficace sans autoritarisme, correspond assez bien à l’idéal merkelien, avant tout fait de pragmatisme et de sobriété. Le français Charlan est quant à lui une jubilatoire caricature de Macron-boy, affairé comme un chihuahua cocaïnomane, totalement hors-sol, étranger aux réalités qui l’entourent comme aux individus qui ne sont, au mieux, que des éléments de décor plus ou moins utiles à mettre en valeur la stature de son héros.
Les joutes à fleurets à peine mouchetés auxquelles donne lieu la mise en place de ces protocoles diplomatiques, Nathalie en ferait encore son affaire – d’autant que ses retrouvailles avec la blonde Ute seraient l’occasion de reprendre momentanément le cours d’une romance à épisodes. Non, le vrai problème, c’est Albert, son grand échalas de fils, déjà presqu’adulte, qu’elle n’a pas vu grandir. Albert, en rebellion ouverte contre sa mère, coupable de tous les maux – aux premiers rangs desquels l’impardonnable responsabilité d’avoir fait voler en éclat la cellule familiale. Coupable donc, par ricochet et vu sa fonction, de l’inhumanité de la gestion toute comptable et administrative des situations individuelles des migrants qui viennent s’échouer sur les plages siciliennes. Militant « No border » des plus actifs, anar humanitaire radical, forte-tête-à-claques mais tellement craquant, Albert s’invite dans la vie de sa mère avec la ferme intention de régler tous les comptes à la fois – les siens propres et ceux de l’humanité.
Troisième opus de la tétralogie caustique et sentimentale de Lionel Baier sur la construction européenne, démarrée en 2006 en Pologne avec Comme des voleurs (à l’est), suivi en 2013 au Portugal par Les Grandes ondes (à l’ouest) – on attend avec curiosité son incursion au nord, vraisemblablement en Écosse –, La Dérive des continents (au sud) fait mouche grâce à son humour imparable. Tant il est vrai que la comédie est l’expression cinématographique de la politesse du désespoir, le film tient tout du long un ton d’une gracieuse légèreté, qu’il s’agisse pourtant de politique migratoire, de mélodrame familial ou, tiens donc, de pandémie. Amusant, narquois, parfois franchement drôle, il vous garde aux lèvre un sourire salvateur.
Jusque dans ce moment presque hors du film, emprunt de gravité : la traversée – réellement impromptue, elle – de Gibellina. Les ruines de ce village sicilien, détruit par un tremblement de terre, ont été enfermées par un artiste sous un sarcophage de béton qui dessine le contour des rues. « Bouleversante de solennité et de tranquillité, cette œuvre dit la fragilité de nos constructions, que ce soient des maisons ou des nations, face au tragique de l’Histoire. Le rapprochement des plaques tectoniques africaines et européennes produit des tremblements de terre capables de créer la misère des deux côtés de la mer. Gibellina nous rappelle notre fragilité face à la dérive des continents ». (Lionel Baier)