Les Nuits de Mashhad

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Iran 2001, une journaliste de Téhéran plonge dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Elle va s’apercevoir rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées.

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Au nom de Dieu

Iranien exilé en Scandinavie, Ali Abbasi s’est fait remarquer en remportant le prix Un certain regard 2018 pour son deuxième long métrage, Border, un film fantastique dans lequel il revendiquait l’influence des auteurs sud-américains Gabriel García Márquez, Carlos Fuentes et Roberto Bolafio. Changement de registre radical avec son nouvel opus qui se situe dans l’Iran 2001, avant les attentats du 11 septembre. Les nuits de Mashhad s’attache à l’enquête que mène une journaliste sur un tueur en série dans une ville sainte où il s’en prend aux prostituées et hérite du surnom “l’Araignée”, dans l’indifférence complaisante des forces de l’ordre. Le réalisateur en a écrit le scénario avec Afshin Kamran Bahrami, d’après une affaire authentique déjà relatée dans le documentaire And Along Came a Spider de Maziar Bahari, mais sorti après la pendaison de Saeed Hanaei, l’illuminé qui a endossé ces crimes au nom de Dieu, devenant malgré lui un héros patriotique pour certains. Sous le thriller affleure en effet une critique du régime des mollahs dont l’interprète principale, Zar Amir Ebrahimi, aujourd’hui exilée à Paris, était une immense star de la télévision iranienne au début des années 2000, avant de s’en voir chassée par la rumeur publique. Après avoir tenté de tourner en Iran, puis en Turquie, Abbasi s’est résolu à filmer en Jordanie. Il justifie sa démarche en ces termes: “Je souhaitais tendre un miroir à la société iranienne, et même si la glace est sale ou brisée, elle rend compte de ce qu’est la vie là-bas.” C’est Metropolitan Filmexport, associé à Why Not Productions, qui distribuera Les nuits de Mashhad dès le 13 juillet.

 

 

Si vous pensiez avoir tout vu sur la réalité de l’Iran contemporain, Les Nuits de Mashhad va vous détromper séance tenante ! Ali Abbasi, réalisateur d’origine iranienne expatrié en Suède, déjà auteur de l’excellent et totalement suédois Border (2018), revient à son pays natal – même si le tournage s’est déroulé en Jordanie – avec un thriller implacable qui ne devrait laisser personne indifférent. En tout cas, du côté du ministère iranien de la Culture, la sélection du film au festival de Cannes et le Prix d’interprétation décerné à l’actrice Zar Amir Ebrahimi ont suscité de virulentes protestations, preuve que le cinéma peut encore exercer une forme de contre-pouvoir quand il décide courageusement de s’aventurer sur le champ des problématiques religieuses, sociales et politiques d’un pays. L’excellent polar égyptien Boy from heaven, qui situe son action dans une école religieuse du Caire, et que vous découvrirez bientôt sur nos écrans, en est un autre bon exemple.
Scindé en deux parties assez distinctes, le film nous entraîne d’abord dans les quartiers populaires de Mashhad, troisième plus grande agglomération de l’Iran. Une ville très religieuse qui attire plus de vingt millions de pèlerins musulmans chaque année.
On y suit en parallèle deux trajectoires : celle de Rahimi, une jeune femme journaliste d’un grand quotidien de Téhéran, tout juste arrivée dans cette ville sainte pour enquêter sur une série de meurtres de femmes prostituées, et celle de Saheed, l’assassin, rôdant la nuit sur sa mobylette dans les faubourgs de la cité, choisissant sa proie, l’attirant dans sa toile avant de l’étrangler sauvagement.
Crime après crime, le film gagne en tension, dessinant petit à petit le portrait psychologique de ces deux personnages. D’un côté un « serial killer la nuit / bon père de famille le jour », vétéran de la guerre Iran – Irak, à la fois sadique et mythomane, autopersuadé d’être investi d’une mission divine (personnage d’une noirceur et d’une ambivalence insondables, interprété à la perfection par l’acteur de théâtre iranien Mehdi Bajestani), de l’autre, une femme indépendante, combative et déterminée (Zar Amir Ebrahimi est de fait formidable et n’a pas volé sa breloque cannoise), qui se rend compte rapidement qu’elle ne pourra compter que sur elle-même pour faire la lumière sur cette affaire terrifiante de féminicides.
Et c’est là que réside le point de bascule du film, qui progressivement quitte le genre thriller pur pour proposer une réflexion passionnante sur la manière dont une société conservatrice semble totalement paralysée et intoxiquée par la rigidité de ses dogmes. Lesquels empêchent les institutions policières, judiciaires et religieuses de prendre la mesure de l’atrocité fondamentale de ces crimes (et des actions qui doivent être menées en conséquence) et, pire encore, aveuglent totalement une partie de la société qui va jusqu’à douter de la culpabilité réelle du tueur ! Après tout, cet homme n’aurait-il pas contribué à « nettoyer » la ville de ces prostituées, de ces droguées qui sont la honte de certains quartiers ? Glaçant… mais véridique.
Basée sur des faits réels survenus en 2000 et 2001, cette histoire porte en elle les germes d’une colère profonde. Le regard porté sur les victimes mais plus généralement la place accordée aux femmes dans la société iranienne doit changer, nous dit le réalisateur. En choisissant une héroïne comme personnage central de son film, Ali Abbasi défie frontalement et courageusement l’ordre établi et pose la question de l’avenir de ces sociétés fondamentalistes, patriarcales jusqu’à la moelle et jusqu’à l’absurde, s’enfonçant toujours plus dans l’obscurantisme.