Les Hirondelles de Kaboul

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Été 1998, Kaboul en ruines est occupée par les talibans. Mohsen et Zunaira sont jeunes, ils s’aiment profondément. En dépit de la violence et la misère quotidiennes, ils veulent croire en l’avenir. Un geste insensé de Mohsen va faire basculer leurs vies.

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FESTIVAL DE CANNES: UN CERTAIN REGARD

Sous les voiles

C’est dès 2011 que les éditions Julliard ont cédé les  droits d’adaptation des Hirondelles de Kaboul (vendu à 600 000 exemplaires depuis 2002), dont l’action se déroule dans l’Afghanistan de 1998 sous le joug des talibans. L’auteur, Yasmina Khadra, a déjà inspiré Ziad Doueiri qui a porté à l’écran  L’attentat (2012) et Alexandre Arcady avec Ce que le jour dit à la nuit, et a collaboré aux scripts de  La voie de l’ennemi (2014) et La route d’Istanbul (2016) de Rachid Bouchareb. Produit par Les Armateurs* (France), Mélusine  Productions (Luxembourg) et Close Up Films (Suisse),  avec Arte France Cinéma, la Radio Télévision Suisse et KNM, Les hirondelles de Kaboul séduit Zabou Breitman, qui insiste pour “que les  personnages soient portés par le jeu des acteurs au lieu que ces derniers soient au service de gestuelles ou de mimiques préétablies”. Un casting de graphistes est organisé. Alors que deux candidates restent en lice, Zabou flashe sur “le dessin d’un taliban en train de fumer un pétard et  portant une paire de Ray-Ban”. Il est l’œuvre d’Eléa Gobbé-Mévellec. Un pilote est prêt début 2014, qui met en scène deux  personnages  interprétés par Simon Abkarian et Jean-Claude Deret, le père de Zabou Breitman, disparu en 2016. “Eléa a commencé à  travailler selon le procédé qu’on allait suivre jusqu’au bout, raconte Zabou Breitman, qui a réécrit le scénario. Il  fallait  reconnaître l’acteur à travers le personnage, sans que ce soit du copier-coller. ” Zita Hanrot (César du meilleur espoir 2016 pour Fatima) et Swann Arlaud (César du meilleur acteur 2018 pour Petit paysan) complètent la distribution, qui comprend aussi Hiam Abbass, Michel Jonasz, Pascal Elbé, ainsi que Sébastien Pouderoux et Serge  Bagdassarian (de la Comédie-Française).  L’enregistrement des voix s’est déroulé pendant quatre jours de septembre 2016 au grand studio de Joinville. Selon Eléa Gobbé  Mévellec, “c’était presque une scène de théâtre. Et tous les costumes étaient là, d’après ce que j’avais  dessiné à partir de mes recherches…” Memento distribuera le 4  septembre ce film qui a obtenu l’an dernier à Annecy le prix de la  Fondation Gan pour la distribution. Il est vendu à l’international par Celluloid Dreams.

Zunaira est si belle ! C’est une bénédiction d’être si belle ! Ou une malédiction, c’est selon… Toujours est-il qu’elle semble faite pour croquer la vie à pleines dents. Sa voix fraîche, son regard profond qui illumine le monde, ses longs cheveux bruns qui se déploient en cascades généreuses… Mais, plus que tout, son intelligence vive, une forme d’engagement profond. Pas étonnant que Mohsen fonde pour elle, on s’éprendrait pour moins ! Sans parler de son talent de dessinatrice, sa force créatrice… Ces deux-là se respectent, attentifs l’un à l’autre. Ici ou là, ces tourtereaux auraient tout pour convoler heureux et légers comme l’air. 
Mais nous sommes en 1998 au pays des talibans, on y exige que le corps des femmes soit caché de la tête aux pieds. Nul orteil, nulle pensée ne doivent dépasser. Les seuls espaces de liberté, fragiles, restent enfouis dans le secret des cerveaux ou celui des maisons. Et encore… il faut se garder de chanter, surtout à tue-tête, les morceaux illicites composés par le « Burka Band », groupe de garage punk créé par trois jeunes Afghanes, comme le fait Zunaira au grand dam de ses voisines. Elles viennent supplier l’inconsciente de se taire, par peur que le courroux aveugle des fondamentalistes ne s’abatte sur toutes. Une injustice est si vite arrivée. Mais qu’il est donc dur de s’astreindre au silence quand on a connu les temps bénis où l’on pouvait s’exprimer sans que blâmes et couperets moralisateurs soient prêts à s’abattre à tout instant. Pour cette génération, c’est une longue traversée du désert sans espoir d’oasis à l’horizon, sans possibilité d’épanouissement. Pourtant certains jamais ne baisseront les bras.
Quand un ancien professeur propose à Mohsen d’enseigner dans une école clandestine les matières censurées par le pouvoir en place, occasion inespérée de lutter contre l’embrigadement des enfants, Zunaira bondit de joie. Contrairement à son amoureux, un brin frileux, elle n’a pas l’ombre d’une hésitation, l’incitant à un courage qu’il n’aurait peut-être pas sans elle, assoiffée de justice. Tous les ingrédients sont désormais en place pour que tout bascule…
C’est un coup du destin qui va faire que leurs pas vont croiser ceux d’un autre couple : Atiq, gardien de prison taiseux, et Mussarat, sa femme encore belle mais désormais usée par les ans et autre chose qui la ronge. Si une forme d’attachement persiste entre eux, la tentation se fait grande pour l’homme de ne plus résister aux pressions masculines. On lui souffle à l’oreille de ne plus s’embarrasser d’une épouse devenue un fardeau dans sa vie. Ce serait tellement simple de la remplacer par une plus jeune, plus industrieuse. Tous font ça et qu’importe les sentiments, les aspirations de femmes devenues interchangeables…
Nul besoin de grands effets de manche, nul besoin de tire larmes, ici la tendresse vient sobrement à la rescousse de la réalité crue… La douceur charnelle des dessins, dont les lignes restent parfois en suspens, comme le destin des protagonistes, rendent supportable ce qui ne l’est pas. La beauté des paysages contraste avec la laideur de certaines âmes, la luminosité avec la noirceur. 
Les deux réalisatrices réussissent un film sobre et élégant, sans pathos. Les couleurs de chaque plans deviennent comme autant de cris du cœur silencieux. La brutalité de la société afghane sous les talibans pénètre sans artifices dans nos univers confortables. Nul artefact : juste la vérité, toute la vérité, celle des hommes et des femmes ordinaires, aux prises avec un système qui les dépasse.