Viendra le feu

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Amador Coro a été condamné pour avoir provoqué un incendie. Lorsqu’il sort de prison, personne ne l’attend. Il retourne dans son village niché dans les montagnes de la Galice où vivent sa mère, Benedicta, et leurs trois vaches. leurs vie s’écoulent lentement, au rythme apaisé de la nature. Jusqu’au jour où un feu vient à dévaster la région.

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FESTIVAL DE CANNES 2019: UN CERTAIN REGARD

Dans la fournaise

Né à Paris, Oliver Laxe a étudié le cinéma en Espagne avant de s’installer au Maroc en 2006, puis de revenir sur la terre de ses ancêtres. Grand prix de la Semaine de la critique en 2016 pour Mimosas, la voie de l’Atlas, il a écrit Viendra le feu avec le coscénariste de ce film, Santiago Fillol. Sa production a ensuite été un véritable parcours du combattant. “En trois longs, j’ai sollicité cinq fois la télévision publique espagnole (TVE) et  j’ai essuyé cinq refus, explique Olivier Laxe. Dès lors, la seule solution pour un réalisateur en Espagne est de recourir à la coproduction européenne, avec la France, le  Luxembourg et Eurimages dans notre cas. C’est d’autant plus étonnant que le budget n’est que de 1,2 M€, alors que plus de 50% des fonds sont extranationaux. C’est dire l’indigence du cinéma d’auteur en Espagne. Malgré la modestie du budget, la production n’a pas été impactée puisque nous avons eu quatre tournages, entre l’hiver, l’été et les incendies, en Super 16 mm. Dans le village où ma mère est née, dans les montagnes de Galice. Les séquences d’incendie, nous les avons tournées au cœur du feu, dans des fournaises inconcevables. On a passé un premier été avec une équipe technique restreinte, sans acteurs, afin de faire des essais et comprendre ce que le film exigeait de nous. On ne savait pas si la pellicule allait se voiler à la chaleur ou pas, les objectifs fondre… Quinze jours durant, on a été à l’affût : à la moindre alerte au feu, on suivait les brigades, on filmait les flammes.” Et Oliver Laxe de citer sa sainte trinité cinématographique : “Au nom de la tête Bresson, du cœur Kiarostami, et de l’esprit saint Tarkovski. Amen ! Ce dernier m’a insufflé la confiance de mettre en relation l’art et le sacré. Dans la plupart de ses films, il y a beaucoup d’images essentielles, structurelles ou primordiales, celles qui viennent des tréfonds de l’âme.”

En sortant de ce merveilleux film, aussi impressionnant que minimaliste, un mystère restait entier : acteurs professionnels, non professionnels ? Qu’importe après tout ! Quelle force ! Quels regards ! Inoubliables Amador et Benedicta. Un fils d'âge mûr et sa vieille mère… Le temps s’était arrêté et s'est installé après la projection un silence précieux : une sorte de recueillement qui fait partie d’une œuvre, à n’en pas douter, quand elle est assez puissante pour nous transporter, quand elle continue de nous nourrir longtemps.
Tout se passe au fin fond de la Galice, dans un territoire délaissé par le progrès. Une terre authentique pourtant oubliée des touristes en recherche d’authenticité, abandonnée par la politique agricole commune tant cette paysannerie-là est décrétée non rentable. Pourtant, c’est bien celle-là qui préserve les ressources naturelles de la planète, la seule capable de ne pas la conduire à l'asphyxie. C’est presque une bénédiction qu’il n’y ait ici aucun grande étendue à tonsurer, seulement des recoins impossibles à défricher, peu accessibles sinon par des routes qui serpentent par monts et par vaux. Une féconde intrication qui laisse ces terres verdoyantes inviolées et intacte leur part de mystère. Il ne s’y passe rien, dirons certains, mais ce rien-là est déjà un tout, comme l’aboutissement d’une forme de perfection tranquille. On y vit, on observe les graines pousser, le son du vent dans les feuilles des arbres, les traces laissées par les animaux blessés, on sait écouter. Si on parle peu, c'est pour ne pas sonner creux. Nul ici n’a le verbe facile. Pour arracher à chacun ses secrets, il faut se lever avant l’aurore. Aux prises avec une nature tout aussi luxuriante que vénéneuse, on connait le prix de la vie, la fragilité des êtres. Les mains y sont rugueuses pour échapper aux morsures des épines. Les carapaces y sont solides, pour lutter contre les intempéries comme pour protéger son cœur. Les sentiments se taisent ou se disent sobrement, comme on évoque le bois à couper ou la vache à traire.
Amador et Benedicta sont de cette trempe-là. Quand, enfin relâché après un long temps de prison, Amador rentre au pays, c’est d’un simple « Tu as faim ? » que Benedicta accueille son fils, comme s’il était parti le matin même. Pas d'effusion, aucun geste ostentatoire… Des regards, rien que des regards, réservés, pudiques. Les raisons pour lesquelles Benedicta a dû assumer seule la vie à la ferme, elle ne les évoque même pas, sans remord ni reproche. Amador, qui n’est plus de la prime jeunesse, fut-il vraiment coupable ou accusé à tort ? Fut-il cet incendiaire que tous décrient ? Il y a un amour insondable dans la manière dont Benedicta accepte sans questionner : quoi qu’il arrive, ce fils restera mien, jamais je ne le jugerai. Traitez-le comme une brebis galeuse, peut-être l’est-il, il aura toujours sa place dans mon troupeau. Sous les airs rustres d’Amador perce quelque chose de brisé, qui le rend extrêmement attachant. La tension monte, palpable, inquiète… Que se passe-t-il derrière ses yeux sombres ? Que va-t-il se produire ? Quelle tempête incandescente est en train de sourdre ? Tandis que le temps suspend son vol, on se prend à attendre des réponses, à frémir comme toute vie qui sait que les jours lui sont comptés… On n'en dira guère plus, sauf qu’émotionnellement, on finit bouleversés par des scènes simples et grandioses dont on ressort petits, si petits… 
Le réalisateur raconte que les incendies en Galice sont comme un sport national, dont certains jouent pour se remplir les poches. Sa grande réussite est de les filmer de près, en allant au feu avec les pompiers, et de nous en délivrer des images dévastatrices, torrides, inoubliables.