Thunder Road TP

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L'histoire de Jimmy Arnaud, un policier texan qui essaie tant bien que mal d'élever sa fille. Le portrait tragi-comique d'une figure d'une Amérique vacillante.

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Thunder road, véritable météore cinématographique, s'ouvre sur une séquence d'anthologie, 10 minutes qui paraissent en roue libre et qui distillent subtilement, tour à tour, la stupeur, l'hilarité, le malaise – et pour finir une mélancolie mâtinée de sidération. Aussi poignante que drôle, la séquence d'une redoutable efficacité donne instantanément le ton tragi-comique, le rythme syncopé du film, et on redoute même un instant qu'il ne s'en remettra pas : trop gonflé, trop perché, impossible de tenir 90 minutes de même (allez, on vous rassure immédiatement : si, jusqu'au bout ça marche).
Tout commence donc dans une église, avec une saleté de lecteur CD pour enfant en plastique rose qui ne veut pas marcher. Une catastrophe banale, un grain de sable anodin qui prend des proportions dramatiques parce que, sur ce radiocassette, l'officier de police Jim Arnaud, flic décoré, fils modèle, papa attentif, rasé de près et tiré à quatre épingles dans son uniforme frais repassé, ne pourra pas passer la chanson Thunder road, de Bruce Springsteen, à l'enterrement de sa mère. Trois fois rien, mais ce qui est à peine un incident pour le commun des mortels se révèle un véritable drame à l'échelle de ce brave type qui, lancé dans son éloge funèbre devant un public débordant de compassion, perd peu à peu les pédales, ses moyens, toute crédibilité, en se raccrochant désespérément dans un invraisemblable flot de paroles aux branches improbables de ses sentiments tumultueux. L'officier de police Jim Arnaud enterre sa mère et, c'est une évidence, est complètement largué. Sans repère, sans limite, il interloque, met mal à l'aise, arrache un sourire et le fige tour à tour. Et, foi de spectateur, c'est un rare plaisir que de se laisser ballotter ainsi entre comédie et mélodrame, jouet d'émotions contradictoires, entre lard et cochon, sans trop savoir s'il est indécent d'en rire ou ridicule de se laisser émouvoir. 
En reproduisant méthodiquement son motif de déconstruction, mentale, sociale, affective, le film brosse le portrait de ce brave flic d'un trou perdu (quelque part au sud) qui assiste, impuissant, à la désintégration progressive mais inéluctable de sa vie. Avec la mort de sa mère, c'est visiblement une digue qui a cédé. La garde de sa fille – trois pauvres jours par semaine qu'il tente tant bien que mal de convertir en affection paternelle – lui est dorénavant refusée par son ex. Son boulot – sa mission, son dernier lien avec le monde extérieur – lui est retiré par une hiérarchie qui s'inquiète des conséquences de ses errements. Tout part à vau-l'eau. La nécessité de faire bonne figure ne résiste pas aux assauts de désespoir qui ravagent tout sur leur passage.
Toujours sur le fil, Jim Cummings parvient, aussi bien par son interprétation exubérante que par sa réalisation d'une précision et d'une sobriété exemplaires, à nous embarquer dans la dégringolade de l'officier Jim Arnaud qui a tout du cauchemar éveillé. Au-delà du premier malaise, il réussit surtout à nous faire aimer cet homme intranquille, à nous attendrir, à nous faire rire, vibrer, trembler, au spectacle de sa danse au bord de la falaise. Et dresse en creux le portrait attachant d'une Amérique d'en bas, sonnée par les crises, en perte de repères, qui s'efforce en vain de ressembler à son portrait de nation forte, à sa mythologie triomphante, invincible, qui a tellement de plomb dans l'aile. Une Amérique qui fait ce qu'elle peut, avec sincérité. Avec, au bout du chemin, peut-être, la promesse informulée d'un nouveau départ, d'une seconde chance. Comme celle à laquelle aspire le couple prêt à prendre la route dans Thunder Road, la chanson : « Oh-oh come take my hand / We’re riding out tonight to case the promised land ».