La Favorite

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Début du XVIIIème siècle. L’Angleterre et la France sont en guerre. Toutefois, à la cour, la mode est aux courses de canards et à la dégustation d’ananas. La reine Anne, à la santé fragile et au caractère instable, occupe le trône tandis que son amie Lady Sarah gouverne le pays à sa place. Lorsqu’une nouvelle servante, Abigail Hill, arrive à la cour, Lady Sarah la prend sous son aile, pensant qu’elle pourrait être une alliée. Abigail va y voir l’opportunité de renouer avec ses racines aristocratiques. Alors que les enjeux politiques de la guerre absorbent Sarah, Abigail quant à elle parvient à gagner la confiance de la reine et devient sa nouvelle confidente. Cette amitié naissante donne à la jeune femme l’occasion de satisfaire ses ambitions, et elle ne laissera ni homme, ni femme, ni politique, ni même un lapin se mettre en travers de son chemin.

Vos commentaires et critiques :

« Tout, dans le monde, est à propos de sexe, sauf le sexe. Le sexe est une question de pouvoir. » Oscar Wilde 

Les films historiques à costume glorifient généralement les grandes figures, délaissant les falots, les monarques fous, les oubliés des manuels. Les cinéastes se sont attachés à César ou à Auguste, peu à Romulus Augustule, le malheureux empereur avec qui s’effondra l’Empire romain d’Occident en 476, face à quelques troupes barbares. Cléopâtre a fait vibrer Hollywood, beaucoup moins son ancêtre Ptolémée VIII qui fit dépecer son fils par vengeance contre sa femme, à qui il envoya les morceaux de leur enfant ! Et Napoléon est devenu un personnage de légende alors que tout le monde a oublié son successeur Louis XVIII, seulement connu des antiquaires pour le style de mobilier auquel il a donné son nom. Grâces soient donc rendue au cinéaste grec Yorgos Lanthimos d’avoir redonné vie à une reine d’Angleterre totalement oubliée, Anne Stuart par sa naissance, dont le règne, qui dura pourtant 12 ans de 1702 à 1714, fut totalement éclipsé par ceux d’Elizabeth Ire et Victoria, voire celui de l’actuelle Elisabeth II. Il faut dire que rien ne marqua durablement ce règne, et que la malheureuse Anne, qui n’eut que des grossesses avortées ou des enfants morts prématurément lui interdisant toute descendance, ne fut pas gâtée par la vie, souffrant de terribles crises de goutte la clouant la plupart du temps au lit ou sur un fauteuil roulant à bord duquel elle arpentait avec rage les couloirs du palais.
Mais Yorgos Lanthimos n’a que faire des grandes réalisations monarchiques, ni des figures prestigieuses de l’histoire. Ce qui a toujours passionné Lanthimos – dont les films dérangeants ont déjà marqué au plus profond notre cinéphilie : que ce soit Canine, qui décrivait une famille dysfonctionnelle enfermée entre les murs de sa villa et marquée par l’obsession du péché venu de l’extérieur, ou le génial conte fantastique dystopique The Lobster, dans lequel l’absence de relations sentimentales condamnait les célibataires à la transformation en animal –, c’est la cruauté des passions humaines. Lanthimos, c’est un peu le successeur de Pasolini et de Fassbinder, qui ausculte inlassablement les jeux du pouvoir et de l’amour où le sexe est toujours évidemment au cœur des intrigues. Et avec la malheureuse reine Anne, hystérique de douleur et de solitude, ne sachant que faire de son pouvoir royal en l’absence d’affection et de soutien, sujette donc à la manipulation des courtisans et plus spécialement des courtisanes, Lanthimos tenait un sujet en or et un décorum de choix. D’autant que la fin de son règne fut marquée par la rivalité entre deux femmes de pouvoir.
De longue date la favorite en/du titre, Sarah Churchill (Rachel Weisz), duchesse de Malborough, joua de l’attachement de la reine pour mener en sous main le royaume à sa guise, avec la complicité de son mari qui dirigeait les armées. Lanthimos décrit l’amitié entre Anne et Sarah comme passionnée et amoureuse, laissant à la duchesse la liberté d’une totale franchise, comme dans cette première scène jubilatoire où la favorite compare la reine à un putois ! Jusqu’au jour où débarque à la cour Abigaïl Hill (Emma Stone), une jeune cousine désargentée et déchue de Sarah qui, bien que reléguée dans un premier temps aux cuisines, parvient par ses charmes à conquérir l’attention et le cœur de la reine.
La Favorite est donc un jeu aussi réjouissant qu’assassin de luttes de pouvoirs, où tous les coups sont permis. Lanthimos pousse son propos iconoclaste jusqu’au bout, jusqu’à la farce grotesque, à la manière d’un Peter Greenaway, autre observateur sarcastique des passions. Le tout servi par la performance de trois actrices exceptionnelles, la palme (ou la Coupe, ou le Globe doré) revenant à la trop méconnue Olivia Colman, comédienne britannique de très haute volée que les téléspectateurs ont pu apprécier dans les séries Broadchurch et The Crown.
Mais le jeu incroyable des trois actrices ne doit pas éclipser la non moins incroyable mise en scène de Lanthimos qui, grosse production ou pas, fait preuve de l’audace qui est sa marque de fabrique : plans décentrés utilisant des focales à 360° pour rendre encore plus étrange le chaos des sentiments et des situations, plans séquences vertigineux le long des couloirs et alcôves du palais royal où se jouent toutes les passions et turpitudes… Grâce à La Favorite, Lanthimos pourrait bien passer un cap et connaître un vrai grand succès public.