Madame Hyde

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Une timide professeur de physique est méprisée par ses élèves et ses collègues dans un lycée professionnel de banlieue. Un jour, elle est foudroyée et sent en elle une énergie nouvelle, mystérieuse et dangereuse...

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SPÉCIAL LOCARNO

L’acteur-réalisateur Serge Bozon, dans son rôle de metteur en scène, connaît bien le Festival de Locarno, où il a présenté un de ses premiers films, le surprenant Mods (2002). Il revient cette année avec son petit dernier, Madame Hyde, le portrait souvent surréaliste d’une enseignante qui croit encore au pouvoir de l’éducation, en dépit de tout.
Madame Géquil (incarnée par une Isabelle Huppert comme toujours extraordinaire, élégante, merveilleusement ambiguë), avec son nom qui est déjà tout un programme, est une prof de physique à la fois excentrique et timide, au bord du “nervous breakdown” : ni ses collègues ni les étudiants ne la respectent, au contraire, sa présence en classe et au lycée en général semble déranger les autres. Un soir de tempête, Madame Géquil est frappée par la foudre. Au réveil le lendemain matin, quelque chose a changé chez elle, mais on ne sait pas bien quoi ? Son côté obscur (Madame Hyde) semble s’être réveillé d’un coup. Va-t-elle pouvoir dompter cette énergie nouvelle qui la possède ? Bozon adapte ici librement Le cas étrange du Docteur Jekyll et Mister Hyde de Robert Louis Stevenson, et cette fois, c’est une femme qui incarne le bien et le mal, la soumission et l’affirmation de soi. Madame Hyde est un personnage féminin qui va au-delà du cliché de l’enseignante introvertie et soumise, fragile et peu sûre d’elle. Certes, Madame Géquil ne semble pas, surtout au début du film, une héroïne prête à dévorer le monde, mais c’est justement son apparente soumission aux faits (et à ses élèves, sauf Malik, un garçon un peu différent des autres qu’interprète à merveille Adda Senani) qui rend sa métamorphose finale d’autant plus grandiose. Sa revanche n’est pas une revanche sanguinolente comme celle des héroïnes de Tarantino, mais plutôt une prise de conscience des ressources qui sont siennes.
Entrer dans l’univers de Bozon implique un “lâcher prise” tout particulier du réel qu’on connaît, une acceptation de l’absurde et de l’invraisemblable dans une enveloppe à la fois élégante et rétro. En d’autres termes, il est inutile de chercher à “comprendre” Bozon ; il s’agit de se laisser aller et de goûter pleinement l’ingéniosité esthétique de son cinéma et la galerie de personnages qu’il compose, des personnages élégants, irrévérencieux, merveilleusement absurdes. Madame Hyde, interprétée avec une classe indéniable par une Isabelle Huppert lunaire et incandescente (à tous niveaux), et le proviseur précieux, joué par un Romain Duris délectable, sont deux exemples parfaits des personnages qui peuplent l’univers de Bozon : riches en ambiguités et en contradictions, fondamentalement gentils bien qu’ils aient aussi une part d’ombre souvent inquiétante. L’objectif de Bozon n’est manifestement pas tant de faire un film sur l’éducation qu’un récit sur le rapport contradictoire d’amour et de haine qui unit professeurs et élèves. Comment alimenter la flamme de la connaissance ? Comment rapprocher les élèves du savoir ? La société dans laquelle vivent les jeunes gens du lycée professionnel où enseigne Madame Hyde n’est sans doute pas rose : les grands immeubles de banlieue dévorent le décor comme des monstres de ciment prêts à attaquer, et renvoient à un destin peu glorieux qui semblent déjà tout tracé. De l’autre côté du spectre, la vie de l’enseignante insolite semble immuable, comme un havre de paix (réel ou pas) dans le chaos des temps. Les personnages de Bozon semblent porter des masques, comme si leurs émotions n’arrivaient pas à s’exprimer à ciel ouvert. Cet apparent détachement par rapport au monde qui les entoure les rend incroyablement intrigants et mystérieux, comme des marionnettes désarticulées avec lesquelles le réalisateur s’amuse pour son bon plaisir. À cet égard, on est surpris par les scènes où la musique se met à posséder les corps : le hip hop version Bozon est une hybride improbable, à mi-chemin entre NTM et le minimalisme new wave. Madame Hyde nous emmène loin, dans un monde où le calme se transforme en miraculeuse tempête.