La Tendre indifférence du monde TP

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La belle Saltanat et son chevalier servant Kuandyk sont amis depuis l’enfance. Criblée de dettes, la famille de Saltanat l’envoie dans la grande ville où elle est promise à un riche mariage. Escortée par Kuandyk qui veille sur elle, Saltanat quitte son village pour l’inconnu. Les deux jeunes gens se trouvent entraînés malgré eux dans une suite d’événements cruels et tentent d’y résister de toutes les façons possibles.

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CANNES 2018: UN CERTAIN REGARD

Horizons lointains

Le cinéaste kazakh Adilkhan Yerzhanov est l’auteur de Karatas (2009), Rieltor (2011), Stroiteli (2012), Ukkili kamshat (2014), sélectionné en séance spéciale à Cannes, et Chuma v aule Karatas (2016), doublement primé à Rotterdam. Diplômé de l’Académie nationale des beaux-arts du Kazakhstan, il a reçu une bourse du studio Kazakhfilm lui permettant d’intégrer la New York Film School en 2010. Il a remporté, à 17 ans, un concours de scénario qui  a abouti à la première série d’animation de son pays, diffusée en 2002. Coproduit par la société française Arizona Productions, La tendre indifférence du monde a pour coscénariste le  Néerlandais Roelof Jan Minneboo, déjà associé à La terre éphémère (2014) et Khibula (2017) du Géorgien George Ovashvili. Son réalisateur dit s’être “battu pour défendre la singularité à toutes les étapes de la fabrication, mais aussi la légitimité de tous les personnages à ne pas être des clichés. On n’attend pas de moi un film commercial. Du coup, les exigences se sont avérées assez rigoureuses. Comme il était hors de question que je réalise un mélodrame traditionnel, j’ai envisagé de raconter l’intégralité de cette histoire à travers ma vision personnelle. Et le plus important concernant mon regard sur cette histoire, c’est qu’il n’y est pas seulement question d’amour et de société, mais aussi de morale et de pragmatisme. C’est à partir de cette confrontation que j’ai articulé La tendre indifférence du monde. Tout débute par un scénario, mais c’est ensuite au film lui-même d’aller au-delà de ce point de départ qui ne constitue en fait que sa part de fiction”. Concernant le cinéma de son pays, il est sans pitié : “Les quelque jeunes réalisateurs qui existent tournent dans le même esprit que la nouvelle vague kazakh depuis 30 ans. C’était un grand cinéma, mais c’est trop long. Il est plus que temps de tourner la page et de passer à autre chose.”

Quelques gouttes de sang qui tombent sur une fleur des champs. Ce sont deux types qui se battent à côté de balles de paille, mais leur combat – exempt de violence – est réglé comme un ballet dans la lumière d'été qui baigne la scène. Jusqu'à ce que l'un d'eux, le doux Kuandyk, se relève, tapote gentiment la joue de son adversaire défait, et s'éloigne en souriant, empochant le gain de sa victoire.
Kuandyk est un gaillard costaud, certes, qui veille avec tendresse – et sans doute un peu plus – sur son amie, la belle et douce Saltanat, que l'on voit par une fenêtre entrouverte traverser, drapée d'une robe rouge, le chemin qui mène à la ferme de son père. Dès les premières images, on est saisi, soufflé par la beauté simple et imparable des images, des plans larges, colorés et lumineux, composés comme autant de tableaux méticuleux, naïfs et pleins de grâce. Instantanément, on sait qu'on va se laisser porter par le rythme aérien, la poésie délicate et la joliesse de ce film peu commun. Au petit jeu des parentèles, le kazakh Adilkhan Yerzhanov est un proche cousin de Kaurismaki, avec qui il partage à la fois un univers intemporel, une poésie lunaire et le souci d'offrir de la beauté, un cadre, une image qui les magnifient aux laissés pour compte dont ils narre les efforts désespérés pour résister à la société qui entend les broyer. On pourrait également citer Michel Gondry (la capacité de créer un imaginaire immédiatement perceptible avec trois bouts de ficelle, un empilement de containers ou un morceau de craie) et Takeshi Kitano (l'amour de la peinture et le talent de l'épure). Mais ses références avouées sont Albert Camus (à qui il emprunte, tiré des dernières lignes de L'Étranger, son titre magnifique), Stendhal, Jean-Paul Belmondo et le Douanier Rousseau !
On vide la ferme de Saltanat. Son père, lourdement endetté, n'y survit pas. Sa mère la supplie de les sauver, elle et ses jeunes frères, en allant à la ville quémander l'aide de Bayandyk, un oncle qu'on suppose suffisamment riche et puissant pour les sortir d'affaire. Parfaitement consciente de ce qu'on lui demande, après une hésitation, Saltanat part donc rencontrer cet oncle – accompagnée de l'ami fidèle Kuandyk qui a justement, dit-il, toujours rêvé de créer une affaire en ville. Il apparaît rapidement que l'oncle n'est qu'un entremetteur auprès de son associé, affairiste adipeux, qui monnaierait volontiers son aide en échange de la main de la belle jeune fille. De son côté, Kuandyk, qui vend avec un certain panache sa force de travail dans des entrepôts de fruits et légumes, s'efforce de vivre en harmonie avec les autres manœuvres. Mais il se voit bientôt contraint de rentrer dans le rang et d'abandonner son intégrité et son honneur aux intérêts de son patron, en devenant pour lui exécuteur de basses-œuvres.
Elle vêtue de rouge et lui de noir, La Tendre indifférence du monde raconte comment Saltanat et son ange gardien, portés par une foi sans doute naïve et leur amour inavoué, tentent tant bien que mal d'échapper au destin qui les menace, de se construire une place à part de la société violente et corrompue qui les enserre. D'une grande douceur contemplative, naviguant pourtant entre sourire et larme, mélodrame et comédie, le film déroule le fil d'une histoire déjà écrite où tout se joue dans les marges, les silences et les regards d'une exceptionnelle pureté. Une histoire éternelle, magnifiée par la grâce de ses héros, Juliette et Roméo modernes, perdus dans un Kazakhstan tantôt sombre et cruel, tantôt magnifié par la lumière. Une merveille.