Le Dos rouge

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Un cinéaste reconnu, travaille sur son prochain film consacré à la représentation de la monstruosité dans la peinture. Il loue alors les services d'une historienne de l'art avec laquelle il entame des discus- sions étranges et passionnées.

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Il y a ce garçon pas si jeune mais avec beaucoup d’enfance, au visage toujours comme étonné, disponible à une surprise, sur un fil entre extrême sérieux, effroi et fou rire devant l’absurdité du monde. Il s’appelle Bertrand, il est réalisateur de films. Il est joué par le réalisateur de films Bertrand Bonello, qui s’amuse à l’évidence à interpréter un personnage qui n’est pas lui, mais lui ressemble à plus d’un titre. Ce Bertrand veut faire un film, visiblement il ne sait pas bien lequel, il a une idée plutôt qu’un projet, a fortiori qu’un scénario. Ce serait quelque chose autour de la monstruosité en peinture… Enfin, c’est lui qui le dit, pas obligé de le croire, en tout cas pour ce qui serait de limiter la monstruosité à la peinture.

Ne sachant trop comment l’accompagner dans cette quête opaque, sa productrice lui dégote une spécialiste d’histoire de l’art, Célia. Bertrand et Célia, les voilà partis dans les musées, à la découverte de peintres et de tableaux, certains très célèbres, certains inconnus. Ils visitent, ils discutent, ils regardent. Elle parle des tableaux comme on parle en dormant, elle est savante et folle, troublante et fuyante. Ils se mentent et se jouent et se séduisent et se déçoivent.

Bacon, Caravage, Chassériau, un rayon de lumière, le mouvement d’un pinceau, le décor du musée Gustave Moreau, le sens même du mot « portrait » surgissent comme des petites aventures, des relances drôles ou effrayantes où rode la spirale du chignon de Madeline, la demi-héroïne du Vertigo d’Hitchcock, figure muséifiée par la cinéphilie et elle-même visiteuse fantôme d’un fantôme peint. Rien qui pèse ni pose ici pour qui se laissera entraîner dans cette gigue vraiment érudite mais pas du tout pédante, un sens du contre-pied, dont l’une des meilleures manifestations est le phrasé déroutant et suggestif de l’historienne d’art révélant le sens caché d’une toile et mentant éhontément dans son téléphone portable.

Elle, Célia, est si fluide, mutine et même mutinée, imprévisible, qu’étant toute entière Jeanne Balibar au meilleur de son talent comique si singulier et percutant, elle sera ensuite sans crier gare Géraldine Pailhas. Bizarre ? Oui, sans doute, mais pas plus que la manière dont, autour de cette trame sérieuse, prolifèrent comme lianes de la jungle, comme traînées de poudre, les échanges affectueux, les étranges transformations physiques, les moments de transgression, sexe et image, visage et ombre.

Il est musicien aussi, Bonello, et on retrouve en effet beaucoup de la musicalité à la fois flottante et incisive de ses compositions dans cette trajectoire qui semble tout en embardées, et finalement va son chemin. Il y a, aussi, quelque chose de crâne, et de digne, dans l’affirmation qu’il y a beaucoup à dire, à penser, à éprouver, en parlant de peinture, en ces temps de haine de l’art (et d’idolâtrie du marché de l’art).

La monstruosité, ce n’est pas la laideur, c’est la différence. C’est ce qui affole les codes et ouvre aux corps, aux êtres, aux formes, des hypothèses inédites, non répertoriées. C’est bien simple, au fond, ce que cherche Bertrand, la monstruosité, c’est l’art même. C’est-à-dire ce qui n’est pas déjà dans la répétition, le normé.

Bien simple mais par définition imprévisible, inassignable, d’où la quête sans fin de cet aventurier dont le corps lui-même est contaminé par cet impossible, sous la forme d'une tache rouge – au risque prometteur de devenir œuvre d’art à son tour…

 (JM Frodon, slate.fr)