Sils Maria

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À dix-huit ans, Maria Enders a connu le succès au théâtre en incarnant Sigrid, jeune fille ambitieuse et au charme trouble qui conduit au suicide une femme plus mûre, Helena.
Vingt ans plus tard on lui propose de reprendre cette pièce, mais cette fois de l'autre côté du miroir, dans le rôle d'Helena…

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SPÉCIAL CANNES

C'est une grande inspiration, un souffle puissant qu'a pris le cinéma d'Olivier Assayas en nous emmenant sur les hauteurs alpines de Sils Maria, petit village niché au Sud-Est de la Suisse, dans le dernier col avant la frontière italienne.

Sils Maria est le portrait d'une actrice en trois chapitres, mais il est avant tout un somptueux film de femmes, magnifiquement interprété par le trio que forment Juliette Binoche, virtuose dans son personnage de comédienne accomplie, Kristen Stewart, sa surprenante assistante qui l'aide à aborder un des rôles clefs de sa carrière, et plus tard Chloë Grace Moretz en jeune starlette charmeuse et arrogante. Film passionnel sur les actrices, Sils Maria traite au fond de la relation entre trois femmes d'âges différents, dont l'une est en train de perdre ce que les autres détiennent et qui avait fait sa gloire : la jeunesse et la modernité. Assayas laisse alors glisser un souffle de mélancolie sur ce récit fin et émouvant d'une femme confrontée non pas tant à son passé qu'au temps qui passe.

En se rendant à une cérémonie en l'honneur du dramaturge qui l'a rendue célèbre, l'actrice française Maria Enders (Juliette Binoche) apprend que le grand homme vient de mourir. Il est entre autres l'auteur du « Serpent de Maloja », pièce dans laquelle Maria a excellé il y a vingt ans dans le rôle de Sigrid, une jeune séductrice qui pousse au suicide une femme mûre. La cérémonie d'honneur tourne à l'hommage empesé. Maria est effondrée et se repose entièrement sur l'organisation sans faille de son assistante Valentine (Kristen Stewart). Valentine est américaine, elle a une vingtaine d'années de moins que Maria, c'est une reine de l'agenda, une diva de la tablette et du smartphone. Elle connaît parfaitement le monde du show business, les auteurs en vue, les actrices à la mode. C'est elle qui conseille à Maria de consacrer quelques minutes de son deuil à un jeune metteur en scène talentueux. Celui-ci lui propose de reprendre « Le Serpent de Maloja », mais cette fois-ci dans le rôle d'Helena, la femme mûre. Maria d'abord refuse, puis hésite, accepte enfin et part répéter son rôle, accompagnée de Valentine, à Sils Maria, dans la demeure où son auteur avait jadis écrit la pièce.

Les échanges qui suivent sont un pur bonheur pour le spectateur qui assiste à l'élaboration d'un travail d'interprétation. Assayas nous offre ce moment privilégié, d'ordinaire réservé au huis-clos, avec d'autant plus de brio que nous découvrons la pièce à mesure que la vie intime de Maria et Valentine se poursuit. Seules dans les montagnes, leurs rapports s'enrichissent de complicité, de domination et de dépendance. Valentine donne la réplique à Maria et on se dit de jour en jour qu'elle ferait une malicieuse, une fabuleuse Sigrid. Maria le comprend aussi. C'est pourquoi Valentine devient pour elle un miroir qui l'aide autant à composer son personnage qu'à l'arracher de celui de la sulfureuse Sigrid. Sous nos yeux, Maria est en train de devenir Helena…

Avec sobriété et élégance, Olivier Assayas nous plonge dans un scénario fait de correspondances entre le jeu et la réalité et élabore ainsi une œuvre aux multiples niveaux de lecture. Une fois de plus, il fait preuve d'une curiosité impressionnante, notamment lorsqu'il s'agit d'explorer le monde contemporain. L'interprétation vertigineuse de Juliette Binoche fait face à la brutalité du star-system hollywoodien, les paysages montagneux dignes du romantisme allemand affrontent les images virales de l'ère Internet, le texte introspectif est soumis à l'intelligence du jeu résolument américain de Kristen Stewart. Dans ce film bergmanien, Olivier Assayas mélange influences et emprunts pour interroger sa propre mise en scène. Si bien que Sils Maria se tient sans cesse et comme par miracle sur un fil, entre un classicisme parfait et une modernité débordante.