Leçons d'harmonie

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Aslan, 13 ans, vit avec sa grand-mère dans un village au Kazakhstan. Il fréquente un collège où la corruption et la violence tranchent avec son obsession du perfectionnisme.
Le jeune Bolat, chef du gang des mauvais garçons, humilie Aslan devant ses camarades de classe et extorque de l'argent à tous les adolescents.
Aslan prépare une vengeance féroce et implacable.

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Leçons de choses

Tout est question de physique dans Leçons d'harmonie. La physique en théorie, tout d'abord, puisque le film se déroule principalement dans une école rurale du Kazakhstan, autour du personnage d'Aslan, un adolescent doué d'un fort esprit scientifique. Les théories de l'énergie et le darwinisme fascinent Aslan presque autant que les insectes et les reptiles qu'il capture. Physique des corps et de la matière aussi : c'est même par là que commence le récit. Celui d'une rivalité quasi somatique entre deux adolescents. Aslan est chétif, un peu courbé, introverti. Bolat est fier, charpenté et sûr de lui. Tout commence en début d'année scolaire, lors de la visite médicale prodiguée par un médecin peu professionnel, mais surtout devant une infirmière dont les charmes éveillent la virilité des adolescents. C'est alors que Bolat, le caïd de la classe, sûrement chagriné par ses faibles performances au test médical, décide de ridiculiser Aslan en le soumettant à un gag de si mauvais goût que le malheureux sera désormais la tête de turc de toute la classe. S'en suit une escalade d'humiliations et de vengeances jamais complaisante et très finement mise en scène dans ce film au calme froid, réalisé par un jeune réalisateur kazakh de 29 ans.

Pourtant, tout l'intérêt de Leçons d'harmonie est de ne pas se contenter d'être la chronique d'un souffre-douleur. Ce qui intéresse Emir Baigazin, ce sont les lois qui régissent les comportements humains. A commencer par une réflexion sur le pouvoir, qui se déploie ici par strates. En humiliant Aslan, Bolat le désigne aux yeux de tous comme le bouc émissaire et assied de la sorte son pouvoir sur le reste de la classe. C'est aux « petits » que Bolat extorque, mais il répond lui-même devant deux jumeaux qui chapeautent le bahut, qui répondent à leur tour devant les « anciens », etc. A coup d'intimidation et de sévices, chacun gère l'espace qui lui est alloué. La montée progressive de la violence entre Aslan et Bolat nous amène à gravir, marche après marche, les échelons du pouvoir. Petits caïds, adultes, professeurs, et bientôt policiers, inspecteurs… Tous semblent agir à leur niveau selon les mêmes schémas, comme si la violence était le ferment des ensembles sociétaux. Dans ce mélange explosif, un élément nouveau est injecté à mi-parcours : le personnage de Mirsayin, grand gaillard triste et inquiet, débarqué de la ville en cours d'année pour retrouver le droit chemin. Mirsayin n'est pas initié au petit système de corruption, il ne s'y soumet pas et n'a que faire d'utiliser ses poings pour se défendre. Entre lui et Aslan, ces deux garçons à part, se noue une amitié. Pourra-t-elle échapper aux rivalités ?

Leçons d'harmonie est en quelque sorte une œuvre d'entomologiste. Sa description quasi obsessionnelle des corps, son organisation parfaitement géométrique des plans et sa maîtrise des rythmes en suspens donnent au film l'aspect d'une étude sur un individu plongé dans un milieu hostile. La mise en scène, parfois presque clinique, atteint une excellence formelle qui confère au récit une dimension de fable. D'autant qu'Emir Baigazin parvient remarquablement à mettre en miroir les opposés : la violence et l'amitié, le pouvoir et le savoir, le concept et le concret. S'en dégage une étrange sensation de plénitude, comme une prise de hauteur sur les mécaniques du pouvoir ou une vue perçante sur les principes fondamentaux régissant l'adolescence. Savant mélange qui n'est pas sans distiller une singulière poésie. L'harmonie du titre, probablement…