L'Institutrice

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Une institutrice décèle chez un enfant de 5 ans un don prodigieux pour la poésie. Subjuguée par ce petit garçon, elle décide de prendre soin de son talent, envers et contre tous.

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Que peut la poésie dans un monde ancré dans le matérialisme, la vulgarité de l'obsession du profit, la peur de l'autre et le besoin de domination qui en découle ? La poésie, légère, capricieuse, sensible peut-elle être une forme de résistance à « l'air du temps », une façon d'aborder la vie et le monde, de retrouver la pureté des premiers regards, des premières sensations, en dehors de tout formatage ? Que devient la poésie lorsque le regard des autres s'en empare et vient faire du jaillissement spontané des mots un spectacle ? N'est-elle qu'un refuge, une façon de s'extraire du monde pour pouvoir supporter la désespérance qu'il inspire ? Est-elle une manière d'accéder à l'essentiel, de plonger au fond de soi-même pour y puiser une énergie nouvelle ? De garder en soi un peu de cette soif d'un idéal supérieur qui nous protège de la trivialité du capitalisme mondialisé ?

Yoav a cinq ans : petit garçon à la bouille sérieuse, au regard joliment rêveur. S'il parle assez peu, les mots qu'il prononce accrochent l'attention de son institutrice, qui décèle en lui une forme d'originalité, de talent qui la subjugue par sa profondeur, l'intrigue. Il n'est pas différent des autres en apparence, il est gai, il joue, bavarde avec ses copains… mais d'où sortent ces mots qui laissent entrevoir un univers mental, une sensibilité hors du commun, l'enfant a-t-il conscience d'être un poète ? Mais qu'est-ce qu'un poète ? Et que va devenir en grandissant cette capacité à lever un bout de voile vers quelque chose d'impalpable et de mystérieusement universel ?

Il y a chez Nina, l'institutrice, une sorte de ferveur profonde qu'on perçoit dans son regard clair, qui semble vouloir pénétrer l'esprit du petit garçon pour arriver à comprendre d'où viennent ses mots, et en même temps une forme de résolution douce et bienveillante qui rendent sa présence de plus en plus prégnante. Le comportement de plus en plus obsessionnel de la jeune femme va l'amener à rencontrer l'entourage du gamin : la magnifique nounou, le père, l'entourage. Elle n'a qu'une idée en tête : révéler ce talent, ce trésor que le gamin possède, une façon peut-être pour elle de partir en guerre contre « l'air du temps ».

La grande réussite du film, c'est justement de si subtilement traduire cet « air du temps » : la télévision qui formate les esprits, la vulgarité et la violence omniprésentes, la domination économique des riches… à la fois dans une perspective universelle, mais aussi à travers les spécificités de la société israélienne (relations entre Ashkénazes et Séfarades, formatage des esprits par l'armée qui efface les dernières traces de sensibilité chez des jeunes qui n'envisagent même pas d'échapper à l'obligation d'accomplir leur « devoir »).

Le film précédent de Navad Lapid, Le Policier, avait reçu le Grand Prix du Jury au Festival de Locarno, celui-ci est de la même veine qui montre des personnages partagés entre un monde cynique et inhumain et une aspiration profonde vers un idéal supérieur. « Ce sont deux films de résistance. Dans les deux films, cette résistance se solde par un échec…

Quel est donc le sens du regard que le petit garçon du film nous adresse à la fin ? Que voit-il ? Son propre avenir ? Notre avenir à nous tous ? Ce monde va-t-il l'écraser et le transformer en ombre comme le redoute l'institutrice ? Va-t-il encore écrire des poèmes, ou est-ce son dernier poème ?… Il n'y a pas beaucoup de raisons d'être optimiste. » dit Navad Lapid. Mais la fin reste ouverte, et Nadav Lapid n'en finit pas de résister.


Pour son deuxième long métrage, Nadav Lapid a décidé de s'attaquer à la place de la culture en Israel en particulier à celle de la poésie, et cela au travers de la relation entre une institutrice Nira et son élève Yoav. L'histoire qui débute comme un feel good movie, une maîtresse d'école qui décèle un talent de poète chez son jeune élève, tourne très vite à une critique de la société actuelle israélienne où "tout n'est une question de gain et de logique économique" partage le réalisateur. Où la beauté pour la beauté n'y a plus sa place.

C'est cette situation qui révolte Nira qui est bien décidée à ne pas laisser périr les poèmes de Yoav. La maîtresse est déterminée à le prendre sous son aile et à l'aider à développer son talent de poète. Elle veut que cet enfant qu'elle considère comme un prodige soit reconnu par tous. Détermination qui se transformera en obsession. Au fil des scènes, l'actrice Sarit Larry qui incarne Nira est extraordinaire, elle plonge le spectateur dans une situation de gêne et de mal-être. Figure rassurante au début du film, son comportement avec Yoav et dans ses relations aux autres, inquiète le spectateur au point que le sentiment de confiance fini par laisser la place à la peur. Pour son premier film et malgré son jeune âge (5 ans), Avi Shnaidman qui tient le rôle de Yoav, réussit une belle interprétation. Il donne au personnage une complexité, on ne sait jamais ce qu'il pense, ce qu'il va répondre ou comment il va réagir. Il a toute l'innocence de l'enfance, ce qui est parfois troublant.

Pour la petite info, les poèmes qu'il récite pendant le film sont en fait les poèmes que le réalisateur avait lui-même écrits étant enfant.