Diamond Island -12

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Bora, 18 ans, quitte son village pour travailler sur les chantiers de Diamond Island, projet de paradis ultra-moderne pour les riches et symbole du Cambodge du futur. Il s’y lie d’amitié avec d’autres jeunes ouvriers, jusqu’à ce qu’il retrouve son frère aîné, le charismatique Solei, disparu cinq ans plus tôt. Solei lui ouvre alors les portes d’un monde excitant, celui d’une jeunesse urbaine et nantie, ses filles, ses nuits et ses illusions.

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SEMAINE DE LA CRITIQUE 2016

Quand vient la modernité

Davy Chou avait déjà réalisé le court métrage Cambodia 2009, sélectionné en 2014 à la Quinzaine avant d’aller à Clermont-Ferrand, un film qu’il considère “comme un laboratoire pour Diamond Island”. Le point de départ géographique de ce premier long métrage est un chantier situé sur l’île de Koh Pich au sud de Phnom Penh où des promoteurs, en majorité chinois, construisent des complexes immobiliers de luxe. “J’ai eu envie de raconter le rapport, passionnel et cruel, entre la jeunesse et la modernité en marche du pays. Et Diamond Island, le lieu, me semblait l’incarnation la plus symbolique et la plus cinégénique de ce rapport. Il faut voir ces centaines de jeunes en scooter qui, chaque soir, tournent en rond dans l’île, en regardant émerveillés ces constructions non finies, ces pancartes montrant un Cambodge du futur ressemblant aux Champs- Élysées. ” Le jeune cinéaste rencontre sa productrice, Charlotte Vincent (Aurora Films) durant le Festival de Clermont-Ferrand: “Ce lieu qu’il m’avait décrit au départ du projet éveillait beaucoup d’images chez moi. Cela me semblait proche de ce que j’avais découvert et qui m’avait ‘fascinée’ il y a 20 ans en Chine: une effervescence de constructions modernes totalement déconnectées du passé du pays. Le résultat est souvent terrible mais l’énergie que cela diffuse est quelque chose que ma génération n’a jamais connue en Europe. ” Doté d’un budget de 900000 €, Diamond Island sera coproduit entre Aurora Films et les deux sociétés de Davy Chou en France et au Cambodge, Vycky Films et Anti-Archive, avec le soutien du CNC – Cinémas du monde et aide à la coproduction franco-­allemande –, d’Arte France, des Films du Losange (distribution France et ventes internationales) et du Doha Film Institut pour la postproduction.

Diamond Island, c’est d’abord un lieu. Une île reliée à Phnom Penh dont se sont emparés des promoteurs immobiliers pour bâtir, à partir de rien, un paradis pour riches. Cette colonie d’immeubles de luxe, de centres commerciaux et de fêtes foraines en chantier permanent, dont on ne s’échappe qu’à de très rares moments, est à la fois le personnage principal du film, et sa matrice esthétique.
Ses néons scintillants, les quadrillages que découpent dans le ciel les grues, les échafaudages, les carcasses d’immeubles donnent sa forme pop et hyper-graphique à cette chronique adolescente sensible et drôle, légère en apparence mais travaillée par une ligne de basse dure et mélancolique. S’il fallait situer le film quelque part, ce serait à l’intersection de The World, de Jia Zhang-ke, de Three times, de Hou Hsiao-hsien, et d’un clip d’Apichatpong Weerasethakul. Il y a pire comme références…
Tout est plus beau la nuit à Diamond Island. C’est pour elle que vivent les personnages du film, ces garçons et ces filles fraîchement débarqués de leur campagne dont la beauté violente menace en permanence de mettre le feu à l’écran. Pour le grand théâtre de séduction qu’elle abrite, pour l’excitation des boîtes de nuit, pour la beauté magique des visages éclairés à la lumière des portables, pour voir leurs Frisbee aux capteurs phosphorescents se transformer en soucoupes volantes…
Le jour les renvoie à une condition d’esclaves dont ils sont bien conscients mais dont ils se moquent, persuadés de n’être pas là pour rester longtemps. Rien ne viendrait troubler la fête si un jeune homme à la grâce androgyne et au regard ombrageux, Solei de son prénom, n’y faisait planer son ombre comme un oiseau de mauvais augure. Ce garçon mystérieux, filiforme, tout de noir vêtu, tombe nez à nez avec Bora, son petit frère qu’il n’a pas vu depuis qu’il a quitté la famille cinq ans plus tôt et coupé tout contact avec elle. Pourquoi ce silence ? Comment est-il devenu ce garçon si cool, si riche, qui roule à moto, offre des iPhone 6 à ses proches, parle d’aller vivre aux Etats-Unis ? Le mystère restera épais, mais l’expression de son visage traduit l’amertume de ceux qui ont perdu leur innocence. Solei sait ce qu’il en coûte de s’arracher à la classe des pauvres, et les idées de réussite qu’il met dans la tête de son petit frère sonnent la fin de la récréation.
Ode sensuelle et scintillante à la jeunesse, Diamond Island est travaillé par la tragédie de l’acculturation. Une question que le génocide khmer, qui était aussi un génocide culturel, rend sans doute plus aiguë au Cambodge que n’importe où ailleurs. Point de salut aujourd’hui pour qui ne maîtrise pas la langue de la mondialisation. Le reste ne vaut rien. Que cette forêt d’immeubles froids et anguleux qu’est Diamond Island, dont la publicité vante le « style européen », soit devenue l’emblème de la réussite d’un pays dont l’architecture traditionnelle, tout en courbes et en raffinements sculpturaux, est une des plus sublimes du monde n’est pas le moins symptomatique, ni le moins cruel des paradoxes. Nul besoin de discours. En s’en tenant comme il le fait à chorégraphier le gracieux ballet de ces jeunes personnages entre deux Saint-Valentin, le temps pour les constructions en chantier d’accéder à l’état de carcasses d’immeubles rutilants, le film brasse une forêt de signes qui vaut bien mieux. Comme toutes les bulles, celle de l’adolescence insouciante de Diamond Island finira par exploser. Au petit matin, entre les tours rutilantes, on risque alors de glisser sur une baudruche vide de luciole numérique.