Le Jeune Karl Marx

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1844. De toute part, dans une Europe en ébullition, les ouvriers, premières victimes de la « Révolution industrielle », cherchent à s’organiser devant un « capital » effréné qui dévore tout sur son passage. Karl Marx, journaliste et jeune philosophe de 26 ans, victime de la censure d’une Allemagne répressive, s’exile à Paris avec sa femme Jenny où ils vont faire une rencontre décisive : Friedrich Engels, fils révolté d’un riche industriel Allemand.

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Coïncidence amusante, nous écrivons ces lignes peu de temps après que le magazine Challenges, une des publications préférées des possédants dynamiques, a publié une étude de la banque Natixis alertant les lecteurs de la possibilité imminente d’une révolte ouvrière face à « des inégalités de revenus toujours plus grandes, la déformation du partage des revenus en faveur du profit, l’accroissement de la pauvreté, la faible hausse du revenu réel depuis 2000 et la pression fiscale de plus en plus forte »… A croire qu’un pigiste marxiste s’est glissé dans la rédaction à la faveur de l’été. Se pourrait-il que même pour les médias libéraux, cette bonne vieille lutte des classes, théorisée par Marx et Engels il y a 170 ans, ringardisée depuis des décennies par le MEDEF et ses amis journalistes, soit finalement bel et bien d’actualité au point de faire trembler les actionnaires ?
De Marx, l’imagerie populaire a retenu l’impressionnant visage barbu d’un philosophe quinquagénaire a priori sentencieux, un visage associé depuis bientôt deux siècles par la propagande anti-marxiste aux régimes totalitaires russes, chinois ou nord-coréens, un raccourci aussi ridicule que celui qui associerait Jésus Christ aux crimes de l’Inquisition. Raoul Peck – qui, après I am not your negro, s’impose comme un des grands réalisateurs de l’année – a la très bonne idée d’aborder le cas Marx par l’angle que l’on connaît le moins, celui de sa jeunesse et de la construction d’une pensée qui changera le monde. Il le fait à travers un biopic qui, tout en se démarquant des codes hollywoodiens simplificateurs et appauvrissants, nous plonge dans un récit enlevé qui pourra passionner les non spécialistes du sujet.
Le scénario, resserré dans le temps, suit Marx depuis sa rencontre en 1844 avec Friedrich Engels, son binôme indissociable, jusqu'en 1848, juste après la rédaction du « Manifeste du Parti Communiste » qui ne sera pas étranger à l’émergence des nombreuses révolutions qui mettront à bas plusieurs régimes monarchiques.
Ce qui est particulièrement excitant, c’est de voir la naissance d’une pensée en action par la friction de deux esprits : d’un côté Marx, le jeune philosophe hégélien en butte avec le maître et quelques uns de ces disciples, de l’autre Friedrich Engels, fils d’un gros industriel allemand installé en Angleterre, fondé de pouvoir de son père, qui profite de sa situation pour rédiger un mémoire exceptionnel sur la situation des ouvriers, majoritairement irlandais. La réflexion théorique se marie avec l’expérience sociologique de terrain et la synthèse permet ainsi de construire les concepts concrets et applicables que l’on connaît. Le film s’articule donc beaucoup autour des discussions passionnantes entre Marx, Engels mais aussi les deux femmes de leur vie, qui prendront une place importante dans leurs luttes, et d’autres théoriciens socialistes comme Proudhon, porteur d’une vision plus utopiste et libertaire mais aussi plus théorique.
Le réalisme pointilleux de Raoul Peck, son souci du détail font merveille – en particulier la précision quasi-documentaire pour tout ce qui concerne la condition des ouvriers et de la jeunesse, y compris intellectuelle –, le film dégage une forte impression d’authenticité, accentuée par des acteurs allemands peu connus et tous formidables. Raoul Peck, qui a étudié pendant 5 ans l’économie à Berlin, inquiet de la faillite actuelle des idéologies et de la perte du sens de l’histoire, voulait par ce film remettre en évidence la modernité du discours marxiste. Pari totalement réussi.