Sous le ciel d'Alice

Vous aimez ce film, notez le !
La note moyenne actuelle est de 16,00 pour 1 vote(s)
Dans les années 50, la jeune Alice quitte la Suisse pour le Liban, contrée ensoleillée et exubérante. Là-bas, elle a un coup de foudre pour Joseph, un astrophysicien malicieux qui rêve d’envoyer le premier libanais dans l’espace. Alice trouve vite sa place dans la famille de ce dernier. Mais après quelques années de dolce vita, la guerre civile s’immisce dans leur paradis…

Vos commentaires et critiques :

 

« Nous sommes comme les noix, nous devons être brisés pour être découverts. » Gibran Khalil Gibran
« Ça fait un peu mal de rêver toujours. Ça rend fou, mais ce qu’il y a de plus douloureux dans le rêve, c’est qu’il n’existe pas. » Wajdi Mouawad

C’est un merveilleux rêve éveillé auquel nous convie la réalisatrice Chloé Mazlo pour un premier film d’une merveilleuse délicatesse poétique. Le rêve d’un paradis perdu qui n’existe que dans le souvenir de celles et ceux qui l’ont connu et qui disparaîtront bientôt. Il faut dire que les aïeux de Chloé Mazlo viennent d’un pays qui fut symbole d’harmonie sur terre et qui a synthétisé tous les contrastes et toutes les contradictions : le Liban fut dans l’entre deux guerres un protectorat français que toutes celles et tous ceux qui l’ont connu rattachaient à une idée du bonheur parfait, et cela perdura après l’indépendance, jusqu’au milieu des années 1970. Mais depuis un demi siècle, le pays est tombé du côté du pire : des guerres civiles successives terribles et fratricides – incompréhensibles aux yeux de beaucoup – qui ont endeuillé la plupart des familles, et en corollaire une gabegie dont l’acmé fut l’explosion du port de Beyrouth, due à une succession d’invraisemblables négligences, conséquence de la corruption généralisée. Une histoire libanaise dit que Dieu aurait créé le paradis au Liban avant de réaliser qu’il préférait le récupérer pour l’au-delà…
Chloé Mazlo n’a pas 40 ans. Elle n’a donc pas connu ce monde béni d’avant mais a construit tout son imaginaire à partir des récits de ses parents et grands-parents. Elle s’est donc inspirée de sa propre histoire familiale, et spécialement celle de sa grand mère, pour raconter le destin d’Alice, jeune Suissesse qui fuit le carcan familial et la claustrophobie des montagnes pour chercher l’aventure au soleil du Liban, pays exubérant dans les années 1960. Où elle trouve rapidement l’amour avec Joseph, un astrophysicien un peu lunaire qui rêve d’envoyer le premier Libanais dans l’espace – un rêve spatial bien réel qui a d’ailleurs inspiré à Joana Hadjithomas et Khalil Joreigne leur documentaire Lebanese Rocket Society –. Chloé Mazlo, plasticienne par ailleurs, recrée ce Liban fantasmé des années 1960 non pas avec les moyens d’une reconstitution classique, mais avec des artifices infiniment poétiques que n’aurait pas reniés Méliès : panneaux peints pour décrire la truculence des rues de la capitale levantine, séquences d’animation pour évoquer la Suisse qu’Alice a quittée… C’est formidablement réussi ! Et même quand le film revient aux prise de vues bien réelles, elle choisit une pellicule à gros grains qui donne aux images un côté délicieusement suranné.
Pour incarner Alice, la réalisatrice a choisi la diaphane Alba Rohrwacher, actrice italienne désormais unanimement reconnue, elle même d’origine allemande, qui s’est sentie en phase avec cette Suissesse tombée en amour pour le Liban. Pour le rôle de Joseph, elle a convaincu le grand dramaturge Wajdi Mouawad d’accepter de faire l’acteur. Il est parfait lui aussi.
Et quand la guerre arrive, brisant peu à peu le bonheur et l’équilibre familiaux, Chloé Mazlo ne se départit pas de son style anti-naturaliste pour en traduire l’absurdité baroque en même temps que la violence terrible : il faut voir ces miliciens d’opérette qu’on croirait sorti d’un tableau grotesque ! Mais aussi ridicules soient-ils, ils vont peu à peu détruire le Liban, affectant avant tout, comme l’explique bien Wajdi Mouawad dans un entretien, ceux qui ne voulaient en rien participer à cette guerre et cherchaient simplement, courageusement, jusqu’à leurs dernières forces, à préserver la vie qu’ils avaient construite. Pour qu’au final, malheureusement, dramatiquement, leur pays ne soit plus qu’un « Pays rêvé » pour reprendre le titre d’un très beau documentaire de Jihane Chouaib dans lequel intervenait Wajdi Mouawad.