Rester vertical -12

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Léo est à la recherche du loup sur un grand causse de Lozère lorsqu'il rencontre une bergère, Marie. Quelques mois plus tard, ils ont un enfant. En proie au baby blues, et sans aucune confiance en Léo qui s’en va et puis revient sans prévenir, elle les abandonne tous les deux. Léo se retrouve alors avec un bébé sur les bras. C’est compliqué mais au fond, il aime bien ça. Et pendant ce temps, il ne travaille pas beaucoup, il sombre peu à peu dans la misère. C’est la déchéance sociale qui le ramène vers les causses de Lozère et vers le loup.

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CANNES 2016 - COMPÉTITION

Toujours debout

Produit par Sylvie  Pialat, fidèle à Alain Guiraudie depuis Le roi de l’évasion, Rester vertical est un road movie sur fond de déclassement et de désir de paternité dont le metteur en scène affirme qu’il a été réalisé dans “de plutôt bonnes conditions. Neuf semaines de tournage dans trois régions. Une équipe normale, où tous les postes habituels étaient pourvus”. Évoquant la source de son inspiration, il dit :“J’aime bien rêver d’un projet, de personnages, de lieux… Mon truc, c’est d’articuler un monde fantasmé… Réinventer le réel ou tenter de le désenfouir par le prisme de la fiction.” Guiraudie affirme goûter particulièrement le stade du casting : “C’est le moment où je fais face à cette vérité : les personnages que j’ai fantasmés en écrivant n’existent pas. Et j’aurai beau parcourir le monde entier, je ne les trouverai jamais. C’est très excitant, ça relance le désir et j’adore ça.” Parmi les cinéastes dont il se sent proche, Bruno Dumont et Quentin Dupieux : “P’tit Quinquin, Flandres et Steak comptent parmi mes grandes sensations cinématographiques. Todd Solondz me passionne aussi beaucoup, notamment avec Happiness et Palindromes. ”Attaché à son indépendance, le réalisateur “pense faire un film tout seul, avec un iPhone par exemple, sans trop savoir si ça présente un réel intérêt”. Quant à ses projets, ils “vont du film social au film noir d’anticipation, mais sans pouvoir dire quel sera le prochain”.

Le temps des loups

Il est beau, il est dense, il est audacieux le nouveau film du franc tireur Alain Guiraudie. Rester vertical : comme un appel à tenir debout contre les forces qui veulent faire courber l’échine, contre l’extinction du désir de jouir de la vie, contre les barrières qui enserrent nos existences sur le chemin de la normalité. Car les loups rôdent sur les magnifiques causses de Lozère comme ils rôdent sur la vie de Léo, trentenaire dont la trajectoire oscille entre paternité isolée et sexualité vagabonde. Les temps sont durs pour qui prend le temps d’hésiter…
On sait Alain Guiraudie très attaché à la géographie de ses histoires et à son territoire Aveyronnais. Ses films ont aussi quelque chose de géométrique. Autant L’Inconnu du lac(splendide polar gay et précédent film de l’auteur) était organisé autour de la figure du cercle et de la répétition, autant Rester vertical se développe sur le motif de la ligne. Mais une ligne sinueuse, souvent entrecroisée et pointant dans de multiples directions. Un foisonnement un peu fou, très singulier, où Guiraudie déploie avec humour son attachement pour les personnages en marge dans un film rural, social et mythologique hors des sentiers battus.
Tout commence comme dans un conte. Sur une grande route de campagne, à l’orée du bois, une maison d’où s’échappe un rock hippie assourdissant. Un beau jeune homme un peu las et un vieux ronchon sur une chaise de camping. Léo tente une approche intéressée vers le premier mais est vite invité à reprendre sa route par le second. L’éphèbe et l’ogre gardent pour un temps leur mystère. Puis c’est une jeune bergère, Marie, que rencontre Léo sur le grand causse et avec qui il s’entretient de la réintroduction du loup dans la région. À peine ont-ils engagé la conversation qu’ils se donnent l’un à l’autre. Léo ne refuse rien de ce qui s’offre à lui. Il est scénariste à la recherche d’un sujet, occupé à se rendre disponible. Avec Marie, sa relation se consume à toute allure : très vite ils décident d’avoir un enfant, un petit garçon dont la jeune femme ne veut bientôt plus. Et Léo, venu s’enraciner ici pour gagner des attaches, se retrouve avec un gosse sur les bras dans la ferme de son beau-père trop seul, Jean-Louis…
En très peu de temps, Alain Guiraudie met en place une situation de base qu’il fait littéralement exploser. Seule certitude acquise : l’affection profonde de Léo pour son enfant qu’il ne quittera jamais. Pour le reste, le film s’organise comme un grand puzzle sentimental et humain, dont chaque pièce est accolée à une autre, comme pour en tester les corrélations. Les puissances du désir libre sont lâchées et leurs mystères avec. Comment mener sa vie, comment construire un foyer (« parfois, un père peut avoir besoin d’élever son enfant seul » lui dit l’improbable personnage de guérisseuse-psy aux électrodes organiques), comment assumer ses responsabilités sans rien renier de sa liberté, de sa différence, de ses envies ?
Le cinéma de Guiraudie suit la même quête de radicalité, le goût de l’expérimentation et la soif de singularité. Les questions sociales, traitées d’abord sur le ton de l’humour, gagnent en consistance à mesure que la situation de Léo se dégrade. La liberté pourra tenir la morosité à distance et le sexe pourra même adoucir la mort. Mais que peut-on contre l’inquiétude d’avoir à écrire sa vie et la peur de tomber un jour sur le loup ? Jusque dans une séquence finale époustouflante, Guiraudie, lui, n’a pas l’intention de se laisser mettre à terre.