Le Traître

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Au début des années 1980, la guerre entre les parrains de la mafia sicilienne est à son comble. Tommaso Buscetta, membre de Cosa Nostra, fuit son pays pour se cacher au Brésil. Pendant ce temps, en Italie, les règlements de comptes s’enchaînent, et les proches de Buscetta sont assassinés les uns après les autres. Arrêté par la police brésilienne puis extradé, Buscetta, prend une décision qui va changer l’histoire de la mafia : rencontrer le juge Falcone et trahir le serment fait à Cosa Nostra.

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FESTIVAL DE CANNES 2019: COMPÉTITION

Le boss des deux mondes

 Lauréat de trois David Di Donatello et de neuf prix à Venise, Marco Bellocchio a présenté de  nombreux films dans les différentes sections cannoises sans jamais obtenir aucune récompense majeure. À la veille de ses 80 ans, il revient sur La Croisette avec un projet ambitieux qui lui tient  particulièrement à cœur. Le traître, c’est Tommaso  Buscetta, un caïd  de  Cosa  Nostra  surnommé  “le  boss  des deux  mondes”,  qui  va  dénoncer  ses  anciens complices avec lesquels il a tenté de rompre en émigrant au Brésil en 1982, suite à la montée en puissance de Toto Riina, le chef des Corléonais, un groupuscule sans foi ni loi qui bafoue les principes fondateurs de cette organisation qualifiée “d’entité perverse”. Ses aveux au juge Giovanni Falcone entraîneront l’arrestation de 475  personnes et  donneront lieu au premier “maxi procès de Palerme”. Après Gianni Musy dans Giovanni Falcone (1993) de Giuseppe  Ferrara, F. Murray Abraham dans Falcone contre Cosa Nostra (1999) et Francesco Pannofino dans Giovanni Falcone, l’uomo che sfidò Cosa Nostra  (2006), son rôle est incarné à l’écran par  Pierfrancesco Favino, un acteur romain  distingué de deux David Di  Donatello du  meilleur second rôle masculin ; en 2006 pour Romanzo  criminale et en 2012 pour Piazza Fontana. Le traître sera distribué par Ad  Vitam le 6 novembre.

L’Italie digère… ou du moins semble digérer. Enfin une vague de réalisateurs ose raconter par le menu, de manière non édulcorée et palpitante, la mafia vue de l’intérieur. Après le Gomorra de Matteo Garrone et Roberto Saviano, voici aujourd'hui ce magistral Le Traître, du maître Bellochio, presque un roman fleuve, et dans quelques mois ce sera La Mafia n’est plus ce qu’elle était du moins connu Francesco Maresco. Quel dommage de ne pas pouvoir programmer les deux films à la même période tant ils se complètent parfaitement ! Dans les deux cas on a affaire à de vrais méchants, pourtant il semble inévitable qu’affleure, à notre corps défendant, une forme de sympathie dérangeante. Celle-là même dont le virtuose Juge Falcone, sicilien de naissance, usa pour mieux s’imprégner et comprendre les rouages de la pieuvre, et de ses tentaculaires ramifications nationales et internationales.
Le Traître démarre fort, en 1980, par une de ces petites sauteries familiales dont les parrains avaient le secret, quand ils se détendaient entre deux fusillades ou plasticages sanglants. On pénètre donc dans l’action simultanément par deux portes d’entrée ambivalentes, comme semble l’être le regard des Italiens sur les mafieux, qui furent tout autant les protecteurs des classes miséreuses (dont beaucoup émanaient) que leurs bourreaux. La caméra de Marco Bellochio résume en un tableau méticuleux le contexte historique d’une affaire qui va se dérouler sur vingt cinq années, une vendetta meurtrière, inextinguible. Il brosse avec maestria le portrait des forces et des individus en présence pour nous faire prendre toute la mesure des tenants et des aboutissants et nous permettre d'entrer bien armés dans le vif du sujet, qui sera le retournement de veste de Tommaso Buscetta, éminent membre de Cosa Nostra, qui dénoncera ses anciens camarades d’armes auprès du magistrat Giovanni Falcone. 
Jeu complexe entre chat et souris (les rôles étant interchangeables), d’où ressort une certaine admiration entre le juge et le truand, laquelle, en des temps moins sombres, aurait pu se transformer en une sorte d’amitié improbable et discrète. Cela peut sembler étrange, mais ce qui rapproche les deux hommes est leur courage et une conception cousine de l’honneur. La partie à jouer est aussi lourde pour l’un que pour l’autre, toujours sur le fil de se faire descendre. Dans le fond Buscetta se sert autant de Falcone que ce dernier se sert de lui. Le clan du maffieux et une partie de sa famille ayant été décimés, il ne lui reste que le bras de la justice pour se venger de ceux qui l’ont doublé, quitte à tomber en même temps que ceux qu’il cherche à atteindre. Bon vivant, il n’est toutefois pas un lâche qui cherche à sauver sa peau à tout prix. Il refusera toujours les appellations de traître ou de repenti. Il a brisé la loi de l’omerta ? Mais pourquoi la respecter envers ceux qui ont piétiné le code sacré de l’honneur, notamment le clan des Corleone guidé par Toto Riina ? Regrette-t-il le moindre de ses actes ? Les réponses à ces questions garderont toujours une part de mystère…
On va suivre la trajectoire de Buscetta, principalement à partir de sa fuite au Brésil, puis de son extradition vers l’Italie, sa traque à la fois par les autorités et par les autres parrains. Un film palpitant de bout en bout, à saluer tant pour la performance de ses acteurs (Pierfrancesco Favino en particulier réussit une composition hallucinante) que pour son ancrage historique précis et documenté. Une immersion dans la seconde guerre de la mafia, dont on ressortira avec un étrange sentiment de malaise, tant le monde des affaires et la sphère politique ne sortent pas indemnes de cette gangrène toujours d’actualité.