The Square TP

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Christian est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux enfants. Conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain, il fait aussi parti de ces gens qui roulent en voiture électrique et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa prochaine exposition intitulée « The Square », autour d’une installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leur rappelant leur devoir à l’égard de leurs prochains. Mais il est parfois difficile de vivre en accord avec ses valeurs : quand Christian se fait voler son téléphone portable, sa réaction ne l’honore guère. Au même moment, l’agence de communication du musée lance une campagne surprenante pour The Square : l’accueil est totalement inattendu et plonge Christian dans une crise existentielle.

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CANNES 2017: COMPÉTITION

Plus dure sera la chute

Ours d’or du court métrage à Berlin en 2010 pour Händelse vid bank, Ruben Östlund revient à Cannes avec son sixième long métrage, après le prix Un certain regard, remporté par Force majeure en 2014, dans cette section où il avait déjà présenté Involontaires en 2008, Play ayant entre-temps été sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs en 2011. En présentant aux investisseurs The Square, il affirmait vouloir "mettre en lumière la perte de confiance en autrui qui s’accroît lentement mais sûrement avec l’individualisation de la société et le sacrifice des idéaux les plus nobles". Il en a confié le rôle principal, une directrice de musée décidée à se faire remarquer en organisant une exposition hors du commun, à l’actrice américaine Elisabeth Moss, Golden Globe 2013 pour sa performance dans la série télévisée de Jane Campion, Top of the Lake, dont la deuxième saison est présentée à Cannes.

Dans la lignée de Snow Therapy, le film aussi troublant que jubilatoire qui nous a fait découvrir début 2015 le réalisateur suédois Ruben Östlund, The Square est une fable contemporaine grinçante, une satire sociale et culturelle d'une férocité délicieuse. Une sorte d'opération de dissection raffinée et hilarante qui s'en va trifouiller dans le dédale des mauvaises consciences de notre époque moderne. Sa lucidité ravageuse pourrait s'appliquer à n'importe quelle société opulente quand bien même l'intrigue prend sa source au sein de l'intelligentsia suédoise. 
Christian, notre protagoniste, est le directeur du Musée d'art contemporain de la ville de Stockholm avec tout ce que cela implique. C'est évidemment un être brillant et classieux. Évidemment toujours à l'aise avec ses congénères, maniant tantôt l'art du copinage, tantôt celui de la nécessaire distance due à son rang. Un être incontestablement supérieur donc, mais qui s'efforce de se garder de la condescendance, qui serait contraire à ses valeurs humanistes. Car, toujours aussi évidemment, Christian a des valeurs et la main sur le cœur, du moins s'en persuade-t-il… Fraternité, égalité, solidarité envers les plus démunis… autant de grands mots dont il se gargarise.
Mais si Christian s'affiche généreux pour les causes humanitaires lointaines, on constate vite en le regardant faire qu'il est incapable de tendre la main à ses congénères qu'il côtoie au quotidien… Manque de bol, le jour où il s'y résigne enfin, se sentant plus ou moins consciemment en contradiction avec la nouvelle œuvre présentée dans son musée, « The Square », un carré sensé changer la face du monde et le taux de bienveillance chez les humains, cela va vite déraper dans un sens inattendu. Celui qui crie à l'aide dans la rue, et auquel Christian décide de porter secours, fait partie d'une bande bien organisée : voilà notre officiel de la culture dépouillé de quelques effets personnels, son portefeuille, ses boutons de manchettes, souvenir de son paternel irremplaçable… mais c'est curieusement son portable qui va focaliser son attention : tout un symbole ! Et ce banal vol de smartphone va se transformer en véritable cauchemar ubuesque suite aux choix que fera Christian, aux actions extravagantes et peu reluisantes qu'il va entreprendre. Le vernis policé du personnage ne va cesser de s'effriter au fur et à mesure que l'histoire avance, inexorable. On le verra précieux ridicule, pédant vaniteux, sermonneur intarissable, goujat riquiqui, justicier teigneux au service de sa seule cause, arroseur arrosable… perdant inéluctablement sa superbe. Avec lui c'est tout un pan du système, dont il est un des nombreux piliers, qui se déconstruit.
The Square égratigne au sang ces castes riches, consanguines, passées maîtresses dans l'art de la masturbation intellectuelle, se payant de mots creux, faisant l'apologie d'installations conceptuelles tout autant inintelligibles que les verbeuses explications qui les accompagnent. Discours pontifiants échafaudés pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes magiques, des enfilades de tas de sable pour des œuvres de valeur inestimable… Peut-être se rejoue-t-il là une version réactualisée d'un conte d'Andersen : celui où des charlatans vendirent à un empereur trop coquet et imbu de sa personne un habit « invisible par les sots ». De peur de passer pour un crétin, le suzerain n'osa pas avouer qu'il ne voyait rien lui-même et lorsqu'il se présenta en grande pompe devant ses sujets, seul un petit mioche osa s'exclamer : « mais il est tout nu ! », provocant l'hilarité générale. Dans The Square, ce sont non seulement les enfants mais aussi les singes qui jouent ce rôle de passeurs de vérité crue, traitant les hommes comme des bouffons incapables de penser au delà d'eux-mêmes, ni d'assumer ce qu'ils sont. D'ailleurs, pour la petite histoire et sans déflorer une des scènes les plus saisissantes, lorsque le personnage prénommé Oleg se déchaîne à la façon d'un primate (performance qui vaut son poids de cacahuètes) lors d'une sauterie de gens triés sur le volet, les figurants de l'assemblée ne sont autres que de vrais marchands d'arts, directeurs de musée et autres grands artistes suédois…
Il ne faut pas se leurrer, si, entre deux fous rires débridés on rit par moments un peu jaune, c'est qu'à travers ce petit monde étriqué un miroir nous est tendu : de Christian on a forcément quelques traits, c'est cela qui nous le rend tellement familier.