Les 2 Alfred

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Alexandre, chômeur déclassé, a deux mois pour prouver à sa femme qu'il peut s'occuper de ses deux jeunes enfants et être autonome financièrement. Problème: The Box, la start-up très friendly qui veut l'embaucher à l'essai a pour dogme : « Pas d'enfant! », et Séverine, sa future supérieure, est une « tueuse » au caractère éruptif. Pour obtenir ce poste, Alexandre doit donc mentir... La rencontre avec Arcimboldo, « entrepreneur de lui-même » et roi des petits boulots sur applis, aidera-t-elle cet homme vaillant et déboussolé à surmonter tous ces défis?

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Chômeur quinquagénaire, interdit bancaire, père isolé de deux charmants bambins, Alexandre est un cumulard des temps modernes. Pas précisément de la race des winners, mais il est fermement décidé à se sortir d’affaire. C’est que l’enjeu est de taille. À la suite d’un malheureux coup de canif dans son contrat de mariage, Alexandre s’est vu imposer par Albane, sa femme, un ultimatum très simple : soit il fait la preuve, le temps d’une séparation temporaire, qu’il peut gagner sa vie, gérer ses enfants et tenir son ménage, soit la-dite séparation devient ferme et définitive. Non négociable. Sitôt dit, la belle a bouclé son bagage, boutonné sa vareuse galonnée et coiffé sa casquette d’officier, et s’en est allée tête droite, en mission dans les grands fonds marins aux commandes d’un sous-marin nucléaire. Eh oui !
Voilà donc notre Alexandre bien obligé de sortir ses deux pieds de l’unique sabot dans lequel il les maintenait confortablement confinés. Alexandre qui jongle avec les réveils, les petits déjeuners, les horaires d’école et de crèche – sans oublier, bon sang ! les deux Alfred (deux singes en peluche, un seul doudou, indispensable au petit dernier). Alexandre qui enchaîne stoïquement les rendez-vous démoralisants, à la banque pour tenter en vain d’émouvoir un conseiller lunaire, à Pôle Emploi pour se mettre en quête d’un boulot. N’importe lequel au demeurant, il n’est pas regardant, juste un boulot rémunéré qui lui permettra de redorer son blason aux yeux d’Albane. Son premier entretien d’embauche dans une start-up « innovante » (innovante dans quoi ? Dans l’art de mener une réunion de travail autour d’une table de ping-pong ?) donne une idée de l’ampleur du gouffre qui sépare Alexandre du monde merveilleux de l’entreprise 3.0. Contre toute attente, le papa-poule old-school et déphasé est illico embauché par « The box », la boîte friendly en totalopen-space où, comme le précise Aymeric, le gérant cool, on « dispatche en conf'call des opés mesurables par simple reacting process ». Embauché sur un mot, une intuition, parce qu’il a indiqué vouloir faire un « reset » sur sa vie professionnelle. Précisément, ce sera ça, son job : le reacting process. Ce qui complique singulièrement la situation, c’est que son petit tyranneau de patron-copain a été ferme, très ferme : à « The box », on est résolument « no child » – ou on s’en va. Pour conserver le boulot, notre aventurier des temps ultra-modernes va donc devoir déployer des trésors d’inventivité pour mener à bien, sous la houlette de Séverine (sa N+1 à la réputation de killeuse), une mission dont il n’a pas compris la moitié du quart du début de la signification, tout en cachant l’existence de ses bambins. Le hasard met sur sa route Arcimboldo – un ange-gardien espiègle et serviable qui use à merveille des paradoxes de l’ubérisation de la société, ses applis, ses bidouilles et ses failles, et qui va faire office de guide de haute montagne dans les méandres de la vie connectée…
Comme toujours chez Bruno Podalydès, la comédie douce-amère et un brin nostalgique est relevée d’une pointe de satire acérée du monde moderne. À l’instar de la novlangue glacée de la start-up que chacun emploie sans vraiment la comprendre, la technologie connectée y a des allures vaguement inquiétantes mais la poésie ne tarde jamais à affleurer derrière l’incongru et le ridicule des situations. Les écrans, omniprésents, isolent plus qu’ils ne les rapprochent des individus totalement dépassés par l’accumulation de montres connectées, voitures autonomes, galets-enregistreurs et autres bidules vocaux qui ont réponse à tout. L’autonomie qu’acquièrent insensiblement les objets, l’inertie têtue qu’ils opposent à leurs utilisateurs donnent à la fable son rythme décalé et poétique. Dans cet univers mécanique instable, Sandrine Kiberlain est irrésistible en wonder woman au bord de l’explosion, tandis que les deux frères Podalydès se délectent visiblement de jouer (au sens propre) ensemble, l’un son avatar de M. Hulot égaré au xxie siècle, l’autre de ses talents de magicien de kermesse.