Tromperie

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Londres, 1987. Philip est un écrivain américain célèbre exilé à Londres. Sa maîtresse vient régulièrement le retrouver dans son bureau, qui est le refuge des deux amants. Ils y font l’amour, se disputent, se retrouvent et parlent des heures durant ; des femmes qui jalonnent sa vie, de sexe, d’antisémitisme, de littérature, et de fidélité à soi-même…

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Solide comme un Roth

Tromperie est l’adaptation par Arnaud Desplechin et sa coscénariste Julie Peyr (qu’il sollicite pour la quatrième fois) du roman homonyme publié en 1990 par l’écrivain américain Philip Roth et traduit chez Gallimard en 1994, dans lequel celui-ci se mettait en scène dans des conversations avec son épouse, sa maîtresse et plusieurs autres personnages féminins. L’occasion pour le réalisateur de réunir une distribution de rêve autour de Denis Podalydès (de la Comédie-Française), également à Cannes dans Oranges sanguines (séance de minuit) et Les Amours d’Anaïs (film du 60e anniversaire de la Semaine de la critique), Léa Seydoux (déjà à l’affiche de Roubaix, une lumière en 2019), Emmanuelle Devos (qu’il dirige pour la septième fois), Rebecca Marder, par ailleurs dans le rôle principal d’Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain, présenté par la Semaine de la critique en séance spéciale, et Anouk Grinberg, ex-égérie de Bertrand Blier. "1M€, soit quatre semaines de tournage en décors naturels en région parisienne, avec une caméra Arri Alexa Mini et des objectifs Cooke anamorphiques Special Flare. Et nous filmions neuf actrices et acteurs géniaux. Tromperie est un film parlé. Comment enchanter chaque dialogue, enflammer les sentiments pour qu’ils deviennent actions ? Chaque fois que nous retrouvions l’amante anglaise et Philip enfermés dans leur bureau, il nous fallait inventer… du nouveau." Et le réalisateur de rendre hommage à ses maîtres : "Je ne sais pas filmer sans admirer. Carax, Kechiche, Denis, Amalric ou Assayas, la liste est si longue… Et les cinéastes américains de ma génération, de Sofia Coppola à Wes Anderson, me nourrissent tant. Quant à ce que nous partageons… ‘c’est à peine si j’ai quelque chose en commun avec moi-même’, disait Franz Kafka." Desplechin a d’ores et déjà d’autres fers au feu. "Je participe avec grande joie à la prochaine saison de la série En thérapie depuis la fin du mois de juin. Et, à la mi-octobre, je commencerai le tournage de Frère & sœur , mon prochain long métrage."  

 

 

Annonçons la couleur tout de suite, Tromperie est le film le plus émouvant du cinéaste Arnaud Desplechin. Nous sommes en 1987. Dans l’intimité d’un appartement de Londres, un simple bureau est le refuge de deux amants. Une femme mariée, une femme en larmes, prisonnière de son destin, retrouve un homme marié, Philip (Roth ?), écrivain américain célèbre, exilé en Angleterre. Ils font l’amour, se disputent, se séparent, se retrouvent et parlent des heures durant. De cette relation passionnée, de leurs échanges vont naître à l’écran des portraits de femmes réelles et imaginées, et la plus belle des histoires : deux êtres vont parvenir à s’aimer librement. Commence alors une danse chaloupée, circulaire et envoûtante, d’un automne à l’été, rythmée par la polyphonie des mots que l’on dit et des confessions que l’on écoute.
Voilà des années que le livre éponyme de Philip Roth (écrit en 1990, publié en France en 1994), accompagne la vie d’Arnaud Desplechin. Le réalisateur a longtemps réfléchi à la bonne forme et au bon moment pour l’adapter. « Plusieurs fois, je m’y suis essayé sans être satisfait du résultat. » Le déclic viendra pendant le confinement alors qu’il est enfermé comme cet écrivain dans son bureau… Dans Tromperie, le sexe, l’adultère, la fidélité, l’antisémitisme, la mort et la littérature – en clair les obsessions de toute l’œuvre de Philip Roth – tourbillonnent dans une symphonie du langage où le verbe se fait chair, matière érotique, exprimant toutes les subtilités de la pensée, tous les jeux et faux-semblants du désir entre les hommes et les femmes.
De Denis Podalydès en alter ego de Philip Roth, incandescent, aussi désirable que minable, à Anouk Grinberg en femme dévastée et épouse malheureuse de l’écrivain en passant par Emmanuelle Devos, magnifique dans le rôle de l’ancienne amante de Philip, toutes les actrices et les acteurs film jouent une partition millimétrée et jubilatoire. Mais c’est bien la prestation de Léa Seydoux, son engagement, son intensité, son imprévisibilité, qui littéralement nous bouleversent. Le grain de sa voix, la grâce de ses mouvements, son regard où se mêlent audace, mélancolie et timidité, font jaillir à chaque instant l’émotion sur la toile.
Film de chambre, huis-clos aux décors minimalistes mais toujours élégants, Tromperie nous transporte dans une aventure de la pensée, de la parole autant que des sens dont on ressort galvanisé… Tromperie ou quand les pouvoirs de l’écriture de Philip Roth et de la mise en scène d’Arnaud Desplechin se rencontrent au carrefour de nos propres expériences de la vie.

« Quant au gros plan, quand le visage devient un écran, cela me bouleverse. Je ne vais pas faire semblant de ne pas aimer Bergman, dont je ne pourrai jamais oublier certains plans. Pour moi, le cinéma sert à cela. Quand le visage emplit tout l’écran, la peau devient comme la pellicule qui capte les sentiments, les mots, la lumière. La peau de Léa Seydoux, comme celle d’Emmanuelle Devos sont des écrans sur lesquels l’intrigue se projette. C’est miraculeux et cela ne s’explique pas. » (Arnaud Desplechin)