Arthur Rambo

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Qui est Karim D. ? Ce jeune écrivain engagé au succès annoncé, ou son alias, Arthur Rambo, auteur d'anciens messages haineux que l’on exhume un jour des réseaux sociaux ?

Vos commentaires et critiques :

 

Bien qu’inspiré de faits réels, d’une histoire vraie toute fraîche, ce magnifique Arthur Rambo – nouvelle réussite majeure d’un Laurent Cantet qui est décidément l’un de nos cinéastes essentiels – est en quelque sorte une relecture de Jekyll et Hyde au temps d’internet – des jeux de séduction, du désamour et du hasard qui se tricotent sur les réseaux sociaux. Miroir déformant, miroir aux alouettes de la célébrité aussi vite acquise qu’immédiatement retirée, c’est la caisse de résonance parfaite, l’amplificateur instantané des pauvres passions humaines, du narcissisme, qui amplifie et accélère les emballements, les sanctifications, les mises au pilori, plus vite que la lumière. Bienheureux ceux qui naviguent à l’écart de ces mers numériques agitées, dans les remous desquelles croisent évidemment de braves plaisanciers pacifiques, mais qui sont infestées de malveillants pirates et de trolls barbares aux intentions fort peu amicales. On peut s’y ébattre sans arrières-pensées, se croyant suffisamment aguerri pour y faire fortune en en déjouant les pièges, et y disparaître tout de même corps et biens, pris au piège du triangle des Bermudes (on aurait tout aussi bien pu tisser des liens métaphoriques avec la légende du brave Icare, dont les ailes fondirent en se rapprochant trop du soleil)…
Ainsi le destin de Karim D., jeune et brillant journaliste fer de lance d’un média « alternatif », qui informe avec précision et bienveillance sur les banlieues que les médias « traditionnels » s’efforcent de ne pas voir (ou de caricaturer à outrance quand ils daignent les évoquer). Beau gosse, intelligent, vif, écrivant juste et d’une rigueur politique irréprochable, passant bien à l’image, Karim D. est un « bon client » et une figure médiatique en pleine ascension. Le bouquin qu’il vient de publier, mi-témoignage familial, mi-pamphlet, doit le mettre durablement en orbite. Or, ce même soir de lancement chez son éditrice où Karim est intronisé dans le « beau » monde parisien, une avalanche de courts messages (maximum 280 caractères) signés « Arthur Rambo », tous plus crapuleux, teigneux, racistes, homophobes, antisémites, sexistes les uns que les autres, ressurgissent des tréfonds d’internet et déferlent sur les réseaux. Avec en prime cette révélation : « Arthur Rambo » n’est autre qu’un pseudonyme de Karim D.
En 2001, dans L’Emploi du temps, Laurent Cantet décortiquait la vertigineuse histoire de Jean-Claude Romand, ce faux médecin mythomane qui, acculé par l’engrenage de ses mensonges, assassina sa famille. D’une certaine façon, 20 ans plus tard, il remet sur le métier l’ouvrage. On reconnaît le mensonge, le secret, l’impossible empathie pour un individu dont les motivations échappent irrémédiablement à l’entendement – et sans doute au sien-même en premier lieu –, la mécanique irrépressible qui s’ensuit… Le personnage de Karim D. est directement inspiré par Mehdi Meklat, qui fit frémir il y a quelques années le cénacle politique, culturel et médiatique français. Jeune talent remarqué parmi les contributeurs du Bondy Blog, Mehdi Meklat, aka le bon docteur Jekyll, était la coqueluche de la presse culturelle, tenait une chronique régulière sur France Inter et signait avec son comparse Badroudine Saïd Abdallah un ouvrage choc, Burn out. La success story s’arrêta brutalement en 2017, quand on découvrit l’existence de son Mr Hyde maléfique, un certain Marcelin Deschamps, qui, des années durant, avait inondé les réseaux de tweets antisémites et homophobes. Pour Mehdi Meklat, au sommet de sa récente gloire, la descente aux enfers commençait.
Laurent Cantet ne refait pas un procès qui n’a pas eu lieu – sinon dans le tribunal médiatique qui n’aime rien tant que détruire ce qu’il a porté au pinacle. Il ne justifie, ni ne condamne. Il déroule factuellement le chemin de croix du jeune homme, désormais honni, qui va de cercle en cercle découvrir l’ampleur des dégâts, d’abord chez son éditeur, épouvanté, puis chez ceux qu’il croyait être ses nouveaux amis, enfin chez les gens du quartier qui l’ont vu grandir, jusqu’à sa propre famille. Le film s’avère une superbe et indispensable réflexion sur notre monde où la futilité tient lieu de conscience politique, où l’érosion du sens moral interroge fatalement le principe même de transgression. On en est encore tourneboulé. On ne saurait trop le recommander aux profs de lycées – aux autres de voir ce film essentiel en famille.