Much Loved -12

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Marrakech aujourd'hui. Noha, Randa, Soukaina, Hlima et les autres vivent d'amours tarifés. Ce sont des putes, des objets de désir. Les chairs se montrent, les corps s'exhibent et s'excitent, l'argent circule aux rythmes des plaisirs et des humiliations subies. Mais joyeuses et complices, dignes et émancipées dans leur royaume de femmes, elles surmontent la violence d'une société marocaine qui les utilise tout en les condamnant.

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SPÉCIAL QUINZAINE DES RÉALISATEURS

Elles sont quatre... La suite est déjà malaisée. Filles? (Jeunes) femmes? La plume hésite. Appelons-les par leurs prénoms: Nouha, Soukaïna, Randa et Hlima. Car elles sont le vrai sujet de Much Loved, le dernier long-métrage de Nabil Ayouch, présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Un coup de poing en pleine figure, une réussite cinématographique et une pièce tronquée du débat que le Maroc devrait porter sereinement sur sa société.

Vendredi 29 mai, la salle 500 du Forum des images dans le quartier des Halles était comble pour la première projection publique du film. Merci Mustapha El Khalfi. Sur les gradins, des têtes connues: les réalisateurs Laila Marrakchi et Faouzi Bensaidi, l'écrivain Abdellah Taia, le journaliste Hamid Barrada. Un public jeune et très majoritairement marocain s'est déplacé pour aller regarder ce qu'on a voulu lui cacher. Beaucoup de jeunes filles dans la salle. Et une ambiance de joyeuse colo qui a cédé doucement la place au silence quand l'écran noir est apparu. Le film. Enfin!

Vingt premières minutes rythmées et haletantes. À la limite du gonzo journalisme, dont ce premier extrait désormais le plus célèbre de l'histoire du cinéma marocain. Quatre filles (finalement) et un mec dans un taxi. Destination: une soirée dans un riad de la Palmeraie avec des clients moyen-orientaux. Nouha (Loubna Abidar) est la chef de bande. Elle crevé l'écran avec son phrasé pur Haouz, son insolence. Personnage charismatique, magnétique.

La suite est une plongée dans l'univers de la prostitution marrakchie. C'est hot bien sûr, cru, liquide. La réalité du plus vieux métier du monde ne ressemble pas à une brochure de l'Office de tourisme.

L'alcool coule à flot. Abou Saâd, petit cheikh bedonnant prend une tequila sur les seins d'une fille à moitié nue, offerte sur une table. Prête à consommer. Mais Nabil Ayouch ne donne pas dans le fast-food. Avec lui, c'est entrée-plat-dessert. Les amours tarifées et les autres. En supplément. La nuance est présente même si on peut regretter quelques ellipses (relation avec la maman, avec l'enfant).

Rien ne sera épargné au spectateur. Pris dans un tourbillon de violences physiques, verbales et émotionnelles, il devient l'otage de ces personnages attachants. On aime ou pas le naturalisme mais le metteur en scène a su tirer de ce quotidien glauque une véritable histoire d'amour. D'où le titre. Nabil Ayouch a enquêté pendant une année au plus près des "professionnelles du sexe". Des dizaines ont été interviewées. Et certaines actrices connaissent intimement le milieu de la nuit.

Mais ce travail sociologique n'assure pas un long-métrage réussi. Il en faut plus. Ayouch filme Marrakech comme personne avant lui. By night, de boîte de nuit en gargote (Ba Omar), jusqu'aux urgences d'Ibn Tofail. De jour, dans des balades en taxi qui sont des moments de rêverie urbaine, entre laideur ordinaire et les élans romantiques de ces femmes qui aiment. Le chauffeur Saïd (Abdellah Didane) est le complice obligé de ces pérégrinations.

Juste, certainement un de ses meilleurs rôles avec celui dans Adieu Forain de Daoud Ould Sayed. Les scènes d'appartement sont nombreuses, longues et savoureuses en dialogue. On y passe d'engueulade en fou-rire, avec des oiseaux de la nuit en pyjama et sans maquillage.

Le fric est partout. Et les filles sont prêtes à se battre au sol pour le grappiller. Il passe de main en main et pas toujours comme on l'imagine. Les économistes y trouveraient des sujets d'étude.

Faut-il montrer toute cette trivialité ? La question n'est pas l'apanage des seuls censeurs. Certains spectateurs l'ont posée après la projection. Car Much Loved montre avec talent ce que l'on ne veut pas voir et qui est partout. Certaines scènes hard ont été accueillies d'un " Bezaaaaf" (c’est beaucoup) à peine étouffé. Pudeur ou myopie, c'est selon. Nabil Ayouch nous dérange et ça fait du bien. Les “autorités compétentes” auraient voulu lui faire de la publicité qu'elles ne s'y seraient pas mieux prises. A M. le ministre de la Communication qui se pique de parler anglais : "Don't shoot the messenger." C'est clair?