Un homme intègre TP

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Reza, installé en pleine nature avec sa femme et son fils, mène une vie retirée et se consacre à l’élevage de poissons d’eau douce.
Une compagnie privée qui a des visées sur son terrain est prête à tout pour le contraindre à vendre.
Mais peut-on lutter contre la corruption sans se salir les mains ?

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Il est interdit d’interdire

Révélé en 2005 à la Quinzaine des réalisateurs avec son deuxième long métrage, La vie sur l’eau, le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof a reçu le prix de la mise en scène en 2011 pour Au revoir, avant d’y décrocher, deux ans plus tard, le prix Fipresci pour Les manuscrits ne brûlent pas. Il a été condamné entre-temps à une peine de six ans de prison et 20 ans d’interdiction de tourner, puis placé en résidence surveillée, pour avoir filmé la manifestation de protestation qui a suivi la réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad, en juin 2009. Distribué en France par ARP Sélection, son septième film, Un homme intègre, rompt un silence de quatre ans. Il s’attache à la personnalité d’un père de famille qui élève des poissons d’eau douce en rase campagne, jusqu'au moment où son terrain attise la convoitise d’une société prête à tout pour se l’approprier. Avec cette question récurrente à la clé : peut-on lutter contre la corruption sans se salir soi-même les mains ?

Les mollahs à la triste figure voudraient sans doute nous faire oublier à quel point l’Iran est un grand pays de libre-penseurs, d’artistes aussi audacieux que talentueux. Et c'est particulièrement vrai pour ses cinéastes, qu'on admire d'autant plus qu'ils savent ce qu'ils risquent en bravant la censure. Si vous avez pu ignorer un ou deux films récemment, il faut d'urgence voir ce magistral Un homme intègre et signer la pétition en ligne sur change.org afin de soutenir son réalisateur Mohamed Rasoulof qui risque six ans de prison dans son pays et vient de se voir confisquer son passeport. Il vous sautera aux yeux que ce thriller tendu, de haute tenue, est une œuvre éminemment politique, qui offre une une analyse terriblement lucide et décapante des dessous d’une société où il n’existe guère d’autre alternative que d’être oppresseur ou opprimé, corrupteur ou corrompu.
Reza, l'homme intègre du titre, est à la tête d'un petit élevage de poissons rouges – lesquels font partie intégrante de la tradition de Norouz, le nouvel an iranien. Reza a quitté Téhéran pour s'installer à la campagne et il compte sur son élevage pour se refaire un avenir. Sous l’apparence paisible de la jolie bicoque familiale perdue entre deux étendues d’eau, se trame un drame, et la petite ferme piscicole parait bien fragile, tout comme la vie, sous les couleurs mordorées de l’hiver interminable. Tous, à l’image de la nature endormie, semblent attendre un renouveau qui tarde à venir. 
Son regard ténébreux, son allure obstinée, chaque fibre, chaque geste de Reza témoignent qu’il est un homme qui bout intérieurement, habité par une juste colère. Plus chêne que roseau, il fait partie de ces êtres qui ne plient pas, qui ne cèdent à aucune compromission. Même pour obtenir un report d'échéance pourtant salvateur, il ne peut se résoudre à verser un pot-de-vin à son banquier, selon une pratique communément admise. « Ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul ! »… Reza a le panache qui sied aux vrais héros, aux justes… Mais à quoi cela sert-il dans un pays où règne la loi du plus fort et la corruption à tous les étages ? Il serait seul contre tous sans la présence complice et les conseils avisés d’Hadis, son épouse, une belle femme à l’intelligence brillante : elle est directrice d'un lycée. Mais aussi admirable soient-elles, les convictions de Reza ne suffisent plus. Se débattre dans un milieu hostile, dont on n’est pas issu, nécessite plus que de la vaillance et de la grandeur d’âme et ses efforts acharnés, son travail opiniâtre, risquent bien d'être anéantis par les magouilles scélérates d’une compagnie de distribution d'eau prête à tout pour l’exproprier. Reza se trouve pris dans un véritable cauchemar éveillé. À l'instar de son entourage découragé, on se dit qu'à sa place, dans une situation à ce point inextricable, David lui-même aurait pu sans déchoir renoncer à combattre une armée entière de Goliath déloyaux ! Reza va-t-il apprendre la résignation ?
Le récit de cet affrontement implacable est ponctué de moments de douceur et de grâce indicibles… Comme ceux où Reza vient se réfugier dans un havre secret au creux des collines, une grotte placentaire aux eaux opalines. Il se love dans cette matrice tiède, se laissant griser loin des affres du monde par un vin de pastèque fabriqué en cachette. Petite gorgée de bonheur nécessaire pour continuer de croire à cette humanité qui lui est chère, se ressourcer et repartir inlassablement au combat. On est tenus en haleine jusqu’au dénouement, très fort, d'une férocité ravageuse…
On se doute que le personnage de Reza est un reflet de Mohamed Rasoulof, le réalisateur qui vit constamment aux aguets, dans la peur des représailles. « J’étais prêt à être arrêté et emprisonné… Finalement, le bureau de la censure m’a juste demandé de faire un film optimiste. Je crois, dit-il avec malice, que c’est le cas, non  ? »