Silence -12

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XVIIe siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves.

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Élévation

Cette dernière œuvre de Martin Scorsese est inspirée du roman de l'écrivain catholique japonais Shūsaku Endō, Chinmoku (Silence, 1966), qui relate l'histoire de missionnaires jésuites portugais du XVIIe siècle témoins des tortures subies par les convertis japonais. Déchirés entre le refus de céder aux appels à abjurer pour faire cesser les tourments de leurs ouailles, et la culpabilité face à leurs souffrances, ils sont pris de doute devant le «silence de Dieu». Aujourd’hui septuagénaire, l’Italo-Américain aura traîné ce projet pendant un quart de siècle. À l’arrivée, un film fièrement indépendant avec pas moins de 32 producteurs crédités pour compenser l’absence d’une «major» hollywoodienne. D’où une lassitude inhabituelle qui a vu Scorsese prophétiser une prochaine «fin du cinéma»?
Deux jeunes prêtres effarés devant la nouvelle de l’apostasie de leur mentor, le père Ferreira, décident de partir sur ses traces afin de stopper la rumeur. Même si l’anglais remplace le portugais, tout ceci est interprété avec un tel sérieux que nous voilà avertis: soit on consent un petit effort pour se plonger dans l’état d’esprit de l’époque, soit on est parti pour plus de deux heures pénibles.
S’agissant de la tentative manquée de christianisation du Japon, cette certitude des braves jésuites se trouve bientôt confrontée à une autre réalité. Guidés par Kichijiro, un drôle de paroissien traumatisé, Sebastião Rodrigues et Francisco Garupe abordent en 1638 cette terra incognita. Ils s’y retrouvent d’abord accueillis avec gratitude par un village qui pratique sa religion en secret: le christianisme a été décrété illégal dans un pays tout juste unifié par le shogunat et ses fidèles sont impitoyablement persécutés. Les conditions de vie sont misérables, il faut se cacher et l’inquisition ne tarde pas à repasser par là. Au bout d’une errance qui sépare les deux amis, Rodrigues, capturé, subira sa propre «passion» avant d’apprendre la vérité de la bouche même de Ferreira. Finira-t-il par abjurer ou non sa foi? Toute l’action se résume ici à des répétitions – autant d’imitations du Christ – tandis que la narration en voix off style journal intime et les dialogues tournent presque uniquement autour de questions de foi. D’où un suspense très relatif entrecoupé d’épreuves (pendaisons à l’envers, crucifixions en mer, etc.) jusqu’à ce que Rodrigues se retrouve à son tour poussé à piétiner une image pieuse en signe de renoncement. Et si son martyre n’était qu’orgueil? Pourquoi Dieu se refuse-t-il à rompre son silence? Ce dernier devient logiquement la clé d’une mise en scène qui, tout en restant dans le canon néoclassique du cinéaste, rejette l’emploi de ficelles hollywoodiennes, à commencer par une musique qui solliciterait l’émotion. Même en tournant à Taïwan, Scorsese semble plutôt s’être inspiré des maîtres japonais, Mizoguchi, Kurosawa et Oshima. Face à un Andrew Garfield habité d’une intensité monomaniaque pas forcément aimable, il oppose d’étonnants acteurs japonais: Yōsuke Kubozuka en disciple faible rappelant Judas, Issei Ogata en grand inquisiteur aussi maniéré que machiavélique, Tadanobu Asano en traducteur-tourmenteur bouddhiste. De leurs confrontations naît peu à peu une image d’une complexité croissante, où il s'avère que même les supposés «méchants» ont leurs raisons. Avec au bout du périple un Liam Neeson impérial qui vient enfoncer le dernier clou: si l’idée même du Dieu chrétien ne cadre pas avec les structures mentales d’une culture si radicalement différente, à quoi bon insister?
Ei si Silence était le chef-d’œuvre de Martin Scorsese ? En tout cas le cinéaste atteint ici le sommet d’une élévation mystique dont il nous avait déjà montré d le chemin.