Voir le jour

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Jeanne travaille comme auxiliaire dans une maternité de Marseille. Nuit et jour, Jeanne et ses collègues se battent pour défendre les mères et leurs bébés face au manque d’effectif et à la pression permanente de leur direction. Jeanne vit avec Zoé, sa fille de 18 ans, qu’elle élève seule. Lorsqu’un drame survient à la maternité et que Zoé part étudier à Paris, le passé secret de Jeanne resurgit soudain et la pousse à affirmer ses choix de vie.

Vos commentaires et critiques :

Avant d’être une très belle histoire d’amour et d’amitié entre des femmes toutes plus lumineuses les unes que les autres, Voir le jour est un sublime hommage aux soignantes. Hasard du calendrier, il débarque sur les écrans quelques mois à peine après une crise sanitaire où elles ont été en première ligne et où elles ont, comme tant d’autres humains, œuvré sans répit pour le bien-être et la santé d’autrui. Auxiliaires de vie, infirmières, aides soignantes, sages-femmes, médecins… Pas de virus ici, juste le quotidien du monde d’avant qui déjà, et ce depuis bien longtemps, fait rimer hôpital public avec souffrance au travail. Sans en avoir l’air, et sans en faire son sujet central, c’est un film qui résonne comme un plaidoyer pour une médecine plus humaine, plus à l’écoute de celles et ceux qui la font vivre au quotidien. Car elles bossent dur, les filles, dans cette maternité d’un grand hôpital marseillais, elles enchaînent les gardes, de jour, de nuit, on ne dort pas assez mais tant pis, ça fait des heures sup’ pour boucler les fins de mois difficiles. Elles ont chacune leur histoire, leur tempérament, leurs blessures, elles se serrent les coudes, parfois ça fait du bien, parfois des étincelles.
Jeanne est l’une d’entre elles. Pas la plus syndiquée, pas la plus loquace non plus, elle est plutôt du genre discrète. Effacée ? Non, simplement un peu en retrait, ailleurs, elle entretient une forme de douce distance vis-à-vis des collègues, sans que cela ne pose de problème à personne. Jeanne fait son boulot et elle le fait bien, et même très bien : le monde des nouveaux-nés, encore imprégné de cette ambiance cotonneuse où tout semble plus lent, plus doux, plus tendre, comme une bulle protectrice, lui convient à merveille. Avec les bébés, pas besoin de mots ni d’argumentaire : tout se joue à l’instinct, au gré des émotions et des corps qui se touchent, se respirent, se protègent. Mais le monde extra-utérin est une drôle de galaxie : on y brandit des grands mots comme « rentabilité », « efficacité », « rendement », « réduction des lits », « compression des effectifs », on souhaite aussi largement y pratiquer les césariennes programmées, plus intéressantes, mieux gérables, plus lucratives. Les tensions sont ici d’autant plus palpables qu’un petit noyau dur, mené par une sage-femme, la charismatique Francesca (la toujours formidable Brigitte Rouän), souhaite depuis de nombreuses années créer une maison de naissance : accompagner au mieux les mamans dans une approche naturelle de l’accouchement, tout en ayant la sécurité d’un plateau technique en cas de problème. Mais la direction ne voit pas les choses du même œil : prendre le temps d’accoucher, c’est perdre beaucoup d’argent. Le jour où un nouveau-né décède dans le service, toutes les tensions, toutes les histoires intimes, toute la fatigue accumulée vont ressurgir…
Mais pour Jeanne, c’est le passé qui revient la visiter. Il a un blouson de cuir et des airs de vieux rocker fatigué, dans son sillage flotte un parfum d’écume et de peau salée… Jellyfish était le nom du groupe dont elle était la chanteuse charismatique : sa vie d’avant qu’elle a subitement, mais sans regret, abandonné le jour où elle est tombée enceinte.
On va alors un peu mieux comprendre ce qui fait la singularité de Jeanne : sa relation fusionnelle avec sa grande fille, au moment même où celle-ci s’apprête à quitter le nid, sa complicité avec Francesa, sorte de grande sœur ou de mère de substitution qui l’a guidée et accompagnée alors qu’elle était perdue. Cette distance aux autres et au monde, c’est peut-être simplement la marque de sa fragilité mise à nu en ce temps si particulier où elle doit apprendre à se réinventer femme après avoir été à 100 % mère et auxiliaire.
Forte et gracieuse, fragile et rebelle, Sandrine Bonnaire porte ce film… et ce n’est sans doute pas un hasard si son prénom de scène était Norma… si proche du Mona du film qui la révéla (Sans toit ni loi). À mi-chemin entre le film politique et le récit intimiste qui s’autorise même, et de manière plutôt futée et audacieuse, quelques flash-back ou digressions oniriques, Voir le jour est inspirant… puisse-t-il être vu par celles et ceux qui décident du sort de notre service public hospitalier.