The House that Jack Built -16

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États-Unis, années 70. Nous suivons le très brillant Jack à travers cinq incidents et découvrons les meurtres qui vont marquer son parcours de tueur en série. L’histoire est vécue du point de vue de Jack. Il considère chaque meurtre comme une œuvre d’art en soi. Alors que l’ultime et inévitable intervention de la police ne cesse de se rapprocher (ce qui exaspère Jack et lui met la pression) il décide - contrairement à toute logique - de prendre de plus en plus de risques. Tout au long du film, nous découvrons les descriptions de Jack sur sa situation personnelle, ses problèmes et ses pensées à travers sa conversation avec un inconnu, Verge. Un mélange grotesque de sophismes, d’apitoiement presque enfantin sur soi et d'explications détaillées sur les manœuvres dangereuses et difficiles de Jack.
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Dans la tête d’un tueur

The House that Jack Built, qui emprunte son titre à une célèbre comptine britannique pour enfants, This is the House that Jack Built, marque le grand retour du réalisateur danois Lars von Trier à Cannes, où il a figuré neuf fois en compétition, de son premier film, Element of Crime en 1984, à Melancholia en 2011, année où il a été déclaré persona non grata à la suite de propos  douteux tenus à la conférence de presse. À son  palmarès : la Palme d’or pour Dancer in the Dark en 2000, le grand prix du jury pour Breaking the Waves  en 1996, le prix du jury pour Europa en 1991, ainsi que cinq  récompenses  du cinéma européen. Son nouveau film est une  coproduction qui réunit la  France, l’Allemagne, la Suède et le Danemark, distribuée par les Films du  Losange qui suit 12 années de la vie d’un tueur en série, incarné par le comédien américain Matt Dillon, face à un enquêteur campé par l’acteur suisse Bruno Ganz, avec également Uma Thurman (nommée à l’Oscar en 1995 pour Pulp Fiction de Quentin  Tarantino) et Riley Keough, aussi à l’affiche d’un film en compétition, Under the Silver Lake. Ce thriller situé aux États-Unis, mais tourné intégralement en Europe, est éclairé par le chef opérateur chilien Manuel Alberto Claro, collaborateur de Lars von Trier depuis  Melancholia, pour lequel il a obtenu le prix Carlo-di-Palma en 2011.

« Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance ». C'est ainsi que le vieux Verge (le psy ?, le guide ? ou simplement le confident de Jack ?, on ne sait trop) a du l'accueillir avant que le film commence. Sans qu'on sache jamais vraiment pourquoi, Jack se confie à Verge. Jack se livre : ses vies, sa mort, son œuvre, ses tâtonnements, ses éclairs de génie, ses doutes et ses aspirations. Nous sommes au tournant des années 70, quelque part du côté de New York, et Jack se dit architecte. L'est-il vraiment ? Jack prétend avoir trouvé le terrain, dressé les plans pour construire sa maison, se vit comme un artiste. Surtout, Jack est en quête de grandeur, d'accomplissement total, d'absolue perfection dans la maîtrise de son Art. Monomaniaque ? Oui, sans doute… En l'occurrence, la passion de Jack, la vraie, c'est de tuer. Des gens. Avec une nette prédilection pour les femmes. Précis, méticuleux, perfectionniste, Jack tue ses contemporain(e)s et construit son tableau de chasse comme un geste artistique. Et puis, se rapprochant inéluctablement de l'abîme, il se raconte, s'efforce laborieusement de faire comprendre à Verge les motivations de ses actes, l'enchaînement de ses tableaux, le sens final de son Grand Œuvre. 
Non seulement le nouveau film de Lars von Trier est beau, mais il est passionnant et émouvant. Notez bien qu'on mesure la difficulté d'aller à contre-courant du bruit médiatique, de sa réputation sulfureuse. Ce serait un film de torture insoutenable, écrit et réalisé par le moins fréquentable des cinéastes en activité. Il est revendiqué comme un pur film de serial-killer par son auteur, qui prétend tordre à sa façon les codes d'un genre cinématographique populaire pour y matérialiser ses fantasmes de cinéma. Alors oui, il y a tout ça, et vous pouvez faire confiance au Danois pour jouer en virtuose avec vos nerfs, vos glandes lacrymales et vos zygomatiques – tout en posant comme principe que la douleur, le malaise suscités par son jeu de massacre seront toujours moins physiques que moraux.
The House that Jack built est indiscutablement éprouvant. Mais pour peu qu'on fasse un pas de côté, ou en arrière – enfin qu'on puisse se dégager un instant, faire abstraction de la touffeur moite et malsaine dans laquelle Lars von Trier prend un malin plaisir à nous entraîner, la fascination devant la beauté et l'ampleur du spectacle est totale. Le sourire un brin crispé, on est brinquebalé, secoué, violenté, mais aussi saisi par la grâce du voyage qui mène du réalisme froid du théâtre du Mal à la luxuriante traversée des cercles de l'Enfer. De tous les plans, hiératique, halluciné, barbare, séduisant, Matt Dillon offre une composition impressionnante, habite génialement le personnage du psychopathe esthète sanguinaire. Pour un peu, on se perdrait en conjectures : cette œuvre insensée, cette cathédrale de lumière et d'immondices, cette quête de beauté et d'absolu qui va racler sa matière première dans les tréfonds de la vilénie humaine, est-ce seulement l'expression de la folie meurtrière et créatrice de Jack ? Ou Lars von Trier, dépressif notoire, nihiliste autoproclamé et misanthrope patenté, qui s'efforce de ne rien ignorer de la nature humaine – et surtout pas l'innommable –, ne dessine-t-il pas avec ce film protéiforme, à la fois slasher ultra-violent et étude très théorique en forme de « défense et illustration de la création artistique », un autoportrait de l'artiste aussi féroce que désespéré ? De toute évidence, il veut nous le faire croire. Peut-on lui faire confiance ?
Seule certitude, The House that Jack built est une nouvelle pierre essentielle dans l'édification d'une filmographie hors-norme, passionnante, sans équivalent dans le cinéma contemporain.